Le vent du désert forme des dunes avec les grains de sable, tout comme le vent de la mer forme des vagues avec les gouttes d’eau.
Le vent du désert souffle sur les vêtements de Zohra, qui avance entre les dunes, chargée d’une grande outre remplie d’eau.
Le chemin du retour est long et pénible. Ses pieds s’enfoncent dans le sable. Elle ne pensait pas qu’aller chercher de l’eau serait si difficile. Quand elle est avec sa mère, elle porte une gourde plus petite ; mais cette fois-ci, on lui a donné une outre de la même taille que les autres, même si elle est la plus jeune.
Loin derrière, son amie Tinedla ferme la marche ; elle doit encore grimper sur la grande dune.
Zohra repense aux paroles de son père :
« Le désert s’est formé un grain de sable après l’autre, et c’est un pas après l’autre qu’on arrive au bout du chemin. »
Ses souvenirs l’accompagnent jusqu’au village.
Inalalla, sa mère, l’attend, le sourire aux lèvres. Elle la serre dans ses bras.
— Zohra, aujourd’hui, tu as fait preuve de force et de courage. Je suis fière de toi, dit-elle en la réconfortant avec quelques dattes.
— Oui, mais j’ai bien failli jeter l’outre au bas de la dune ! Je n’en pouvais plus, maman.
Ce soir-là, pour la première fois, Zohra prend le thé avec sa mère, ses grands-parents et les invitées, Tinedla et ses tantes.
Sa grand-mère raconte une vieille légende qui remonte au temps où le désert était un immense océan bleuté et où les vagues, bercées par le vent, ressemblaient à de grandes dunes d’eau.
Ses paroles s’évanouissent dans l’air tandis que Zohra s’enfonce dans un profond sommeil. Elle rêve de son père qui, avec les autres Touaregs, jette des filets dans l’eau. Lorsqu’ils les ramènent, les filets sont pleins de centaines de poissons et d’étoiles. Les hommes mettent les poissons dans un panier et lancent les étoiles en l’air ; une par une, celles-ci s’accrochent à la voûte céleste. Zohra plonge dans l’eau. Elle sent la fraîcheur sur sa peau, le goût salé sur ses lèvres.
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Le matin suivant, Inalalla réveille Zohra d’un baiser.
— Qu’as-tu fait cette nuit ? Ta peau est salée.
— J’ai rêvé que papa était pêcheur. Je voudrais continuer mon rêve. Quand papa sera-t-il de retour ?
— Il faut encore un mois avant que la caravane ne revienne. C’est long d’aller chercher du sel.
Zohra aide sa mère à s’occuper des chèvres. Après le petit-déjeuner, elle va à l’école avec les autres enfants.
Mais elle ne songe qu’à son rêve, à la mer, à l’eau, à l’écume, aux poissons…
Le soir, elle accompagne sa mère auprès du troupeau. Quand les étoiles s’allument pour écouter le silence de la nuit, Zohra demande à Inalalla :
— Maman, à quoi ressemble la mer ?
— La mer est un désert, mais avec de l’eau à la place du sable.
— Maman, je voudrais voir la mer…
— C’est loin, tu sais. C’est si loin…
La nuit suivante, Zohra rêve à nouveau de l’océan, de voiles bleues, de poissons volants et de tempêtes déchaînées.
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Quelques jours plus tard, à l’école, elle entend un bruit et se précipite dehors.
— Qu’est-ce qui te prend, Zohra ? l’interroge sa maîtresse.
— J’ai cru que la caravane arrivait. Pourquoi n’est-elle pas encore là ? Et s’il leur était arrivé quelque chose ?
— Ton père connaît les chemins de sable, Zohra. Il reviendra. Tu verras, il reviendra.
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La caravane surgit un matin à l’aube, vingt jours après la date prévue.
Inalalla examine les nouveaux venus un à un. Enfin, elle aperçoit son époux et court à sa rencontre.
— Nous étions inquiets. Vous avez tant tardé ! Que s’est-il passé ?
— Une tempête de sable nous a contraints à nous réfugier dans les Grottes Bleues, près des montagnes de l’Air.
— Zohra sera si contente quand elle se réveillera !
— Comment va ma petite gazelle ?
— Elle est un peu étrange depuis que sa grand-mère lui a raconté une histoire qui parlait de la mer. Elle veut y aller. Elle ne parle de rien d’autre ; elle en rêve même la nuit.
Tous deux déchargent les dromadaires et entrent dans la tente.
L’homme s’approche silencieusement de sa fille et place un présent près de son oreille. Zohra dort.
Elle rêve de la mer, d’une plage pleine de palmiers qui se balancent au gré du vent et d’hommes bleus en voyage.
Et cette fois-ci, elle entend le bruit des vagues…
Zohra se réveille.
— Papa ! tu es revenu ! Je rêvais de la mer, je l’ai même entendue…
— Je suis content que mon cadeau te plaise !
Il lui montre le grand coquillage qu’il lui a rapporté.
La tente s’emplit de rires.
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À partir de ce jour, Zohra est impatiente de grandir.
Son père lui a promis qu’à treize ans elle pourrait suivre la caravane jusqu’à la côte et voir la plus belle des mers : l’océan.
En attendant que ce jour tant désiré arrive, tous les soirs, avant que le soleil ne s’enfonce sous le sable du désert, Zohra ferme les yeux, presse le coquillage contre son oreille et écoute.
Le bruit des vagues traverse son corps, le goût du sel emplit sa bouche et la brise caresse ses cheveux. Zohra flotte dans la mer de ses rêves, dans une mer aux eaux bleues, dans une mer de dunes bleues.