Le rêve du pauvre homme

figuier01
 
C’était quand le temps était dans le temps, dans le passé de l’âge et des moments…
 
 
Il y avait un jour en Orient, un pauvre pêcheur qui vivait au bord de la mer avec sa femme et ses enfants. Il habitait une vieille maison qui lui venait de sa famille. C’était une grande maison carrée, avec une cour carrée et au milieu de la cour carrée il y avait un figuier, un très vieux figuier. Et tous les jours, quand il revenait de la pêche, il s’allongeait sous son figuier, et sur la racine qui lui servait d’oreiller il faisait la sieste.
Car tous les matins, il partait très tôt avec sa barque, et jetait ses filets au large. Il priait toujours avant de les jeter, en disant :
— Je jette mes filets sur ma chance !
Et hop, il lançait ses filets. Trois fois, il jetait ses filets sur sa chance, puis il rentrait à la maison pour ne pas offenser Dieu. Pourtant, sa chance, c’était du menu fretin, des poissons minuscules qui valaient trois fois rien. Parfois, il remontait même des carcasses, des vieilles godasses, qui déchiraient ses filets. Alors il rentrait à la maison et achetait en soupirant le « pain de la misère », pour nourrir sa femme et ses enfants. Après manger, il se couchait sous le figuier, posait sa tête sur la racine qui lui servait d’oreiller et s’endormait.
Or, chaque fois qu’il s’endormait sous son figuier, il faisait un rêve. Toujours le même. Et le rêve lui disait :
Va au Caire, sur le pont,
la fortune t’y attend !
Va au Caire, sur le pont,
la fortune t’y attend !
Va au Caire, sur le pont,
la fortune t’y attend !
Et le lendemain, l’homme allait en mer, jetait ses filets, sur sa chance, ramenait du menu fretin, achetait le pain de la misère, s’endormait sous son figuier. Et toujours le même rêve revenait, lancinant, insistant :
Va au Caire, sur le pont,
la fortune t’y attend !
Va au Caire, sur le pont,
la fortune t’y attend !
Va au Caire, sur le pont,
la fortune t’y attend !
 
Et ainsi tous les jours. Tous les jours, il rêvait qu’il était riche et se réveillait pauvre ! Un jour, n’y tenant plus, il dit à sa femme :
— Ma femme, je crois à ce rêve ! Il me faut partir au Caire ! Pourras-tu te débrouiller toute seule pendant quelque temps ?
— Mon aimé, ce n’est pas moi qui t’empêcherai de vivre tes rêves ! Si tu y crois, tu dois y aller voir ! Il y a les voisins, nous saurons bien nous arranger !
Dès que possible, il s’est joint à une caravane qui passait, et il est parti.
Ils ont voyagé longtemps. Ils ont traversé le désert, et sont arrivés au Caire. Tout le monde s’est installé au caravansérail, juste à la porte de la ville, pour se reposer. Mais lui, non ! Il voulait voir s’il y avait un pont comme celui de son rêve ! Il a couru tout de suite en ville malgré la fatigue. C’est grand Le Caire. Mais il cherchait « son » pont !  Et tout à coup, il l’a vu : là, en bas de la rue, il y avait un pont ! Un pont exactement comme celui de son rêve ! Le pont de son rêve ! Là ! Devant lui !
Alors, il a couru couru couru encore, jusqu’au pont, il s’est planté en plein milieu et il s’est dit : « Voilà ! ! ! Maintenant, la fortune peut venir ! »Et il a attendu. À chaque personne qui passait, il se disait : « C’est la fortune ! ! ! »Et il s’apprêtait à l’accueillir… Mais non, la personne passait, c’est tout…Bon… Il ne se décourage pas. Une autre personne passe. Ah ! Voilà ma fortune… Non… Elle ne fait que passer…
Et ainsi toute la journée. À la fin du jour, il a bien compris qu’il s’était trompé. Il s’est dit :  « Mais non ! Ce n’est pas ça ! Je dois sans doute dormir sur ce pont et je ferai un rêve qui me dira où est ma fortune ! Voilà ! » Et, très sûr de lui, il se couche là, sur le pont et s’endort comme une masse à cause de la fatigue du voyage.
Il est réveillé le lendemain matin par des coups de pied dans le thorax. Il se lève en sursaut et se trouve nez à nez avec un gigantesque garde qui lui crie :
— Il est interdit de dormir sur le pont ! Je t’arrête pour vagabondage !
Et il s’est retrouvé dans les prisons du Caire ! Elles sont terribles, ces prisons ! Alors lui, affolé, il s’est mis à hurler sans cesse, jour et nuit :
— Je veux un jugement ! Je veux un jugement !
Tellement, qu’il l’a obtenu !
Dans la salle du tribunal, le juge lit son dossier, et finalement lui demande :
— Je vois que tu as une famille et un métier au loin. Pourquoi es-tu venu ici, pour te retrouver vagabond, dis-moi ?
Et le pêcheur, plein de dignité, a pensé qu’il n’avait rien à perdre à dire la vérité :
— Juge, j’ai cru à un rêve ; tous les jours, quand je dormais, un rêve me disait :
 
« Va au Caire, sur le pont,
la fortune t’y attend »…
 
J’y ai cru, Juge, et je suis venu, voilà tout…
— Pauvre type ! s’est exclamé le juge. Mais vraiment ! Quel naïf tu fais ! Mais enfin ! Sois un peu raisonnable. On dit : « songe-mensonge » ! Les songes sont des fantaisies ! On fait tous des rêves, et alors ? Tout cela c’est de la superstition ! Tiens, moi par exemple, quand un avocat parle trop longtemps, ici, au tribunal, je m’endors. Eh bien, je fais toujours le même rêve :
« Je rêve d’une maison carrée avec une cour carrée ; et au milieu de cette cour carrée, il y a un figuier avec une racine qui peut servir d’oreiller. Eh bien, je rêve que si je creuse sous cette racine exactement, je trouverai un trésor !… »
« Et tu crois que je suis assez fou pour aller courir le monde chercher cette maison et son arbre ? Pauvre type ! Aaah ! Pauvre type ! Tu es trop naïf, tiens, tu me fais pitié ! Tiens ! Allez, paye seulement 10 dinars d’amende ! Pauvre type ! »
Le pêcheur est allé serrer le juge dans ses bras, et il lui a dit :
— Merci, juge ! Merci !
Et le juge n’a pas très bien compris pourquoi il était tant remercié pour une amende de 10 dinars…
Le pêcheur est rentré chez lui…
L’histoire dit que le désert a comme roulé sous ses pieds…
Enfin il est arrivé devant sa maison carrée… Il est entré dans sa cour carrée… Il a regardé son figuier… Il a souri avec tendresse… Et enfin, il est allé chercher une pelle et une pioche, et il a creusé, creusé, creusé…
Et il a trouvé un trésor…
Un trésor énorme…
Plus grand que tout ce qu’il pouvait imaginer.
Plus grand que tout ce qu’il pouvait rêver.

 

À la suite de cette histoire, quelquefois, les sages d’Orient disent qu’il faut parfois aller bien loin pour connaître le trésor qui est en soi…
 
 

 

Catherine Zarcate
Le loukoum à la pistache et autres contes d’Orient
Paris, Syros, 2000
(Adaptation)
Publicité