Après la mort de son enfant, Monsieur a tout laissé derrière lui. Il n’a gardé qu’un ourson de laine, et une chaise pour voyager.
À la gare, Monsieur a pris un billet, aller seulement, pour n’importe où. Il voyageait, assis sur le dernier wagon.
Certains soirs, au hasard d’un arrêt, Monsieur hantait les terrains de jeux. Il y fredonnait des berceuses plus douces que la brise.
Il visitait les cirques. À la fin de chaque représentation, lorsque les spectateurs avaient emporté leurs éclats de rire, Monsieur veillait en silence au milieu de la piste.
Un jour, le train s’est arrêté devant la mer. Bercé par les vagues, Monsieur a longtemps contemplé les châteaux de sable.
Puis Monsieur a traversé l’océan sur un paquebot. Chaque soir, au crépuscule, il se mêlait aux passagers qui regardaient l’horizon se perdre dans le ciel.
Monsieur a fait le tour de la terre. Dans chaque ville, dans chaque village, il arpentait les rues, les ruelles et les sentiers.
Des femmes, des hommes l’invitaient dans leur maison. Il y passait quelques heures, le temps de partager un sourire.
Au bout du monde, Monsieur a rencontré un enfant. Ses larmes racontaient la guerre et la disparition de sa famille.
L’enfant pleura trois jours et trois nuits sur les décombres de sa maison. Il n’y trouva qu’une poupée de chiffon.
Monsieur découvrit une petite chaise de bois. Il la répara et la donna à l’enfant.
Le petit posa sa chaise près de celle de Monsieur. Ensemble, ils écoutèrent le chant des oiseaux et le soupir du vent dans les feuilles.
Monsieur prêta son ourson à l’enfant. Tout en caressant le museau de laine, le gamin raconta l’histoire de la poupée.
Depuis ce jour, l’homme et l’enfant voyagent ensemble, assis l’un près de l’autre, en se tenant par la main.
Gilles Tibo ; Luc Melanson
Le Grand Voyage de Monsieur
Saint-Lambert, Dominique et Compagnie, 2001
Contes à rêver 