L’oiseau bonheur

L´oiseau bonheur

 

        Camille le posa au creux de sa main et le caressa très délicatement.
        Sa marraine lui dit :
        — Dans le sac que j’ai sur le dos, tu vas trouver une jolie cage. Passe-la-moi vite, que j’y mette cet oiseau. Et que je referme sa grille.
        — Mais, marraine, si loin de chez lui, l’oiseau sera malheureux, comme maman, et il va se trouver en prison comme papa.
        — Pas du tout ! Tu vas entendre comme il chante bien.
        Mais l’oiseau resta bien silencieux.
        Depuis, chaque jour, sa marraine demandait :
        — Alors ? Il chante ?
        Mais Camille répondait :
        — Non.
        L’oiseau ne chantait pas. Et Camille, depuis que sa mère se cachait à cause de la guerre, depuis que son père était prisonnier, ne chantait jamais non plus.
        Un soir, sa marraine se mit très en colère :
        — C’est ta faute, tu fais la mauvaise tête ! Tu ne veux pas chanter ! Alors, pourquoi il chanterait, lui ? S’il ne chante pas la prochaine fois, cet oiseau de malheur, je vais lui tordre le kiki !
        Lorsqu’elle se retrouva seule, Camille s’efforça de chanter, et son chant était si émouvant que l’oiseau chanta pour l’accompagner d’une toute petite voix.
        Le lendemain, Camille dit :
        — Il chante, marraine, vous l’entendez. Oh ! ne lui tordez pas le cou, je vous en prie !
        — Non ! Ce n’est pas ce que j’appelle du chant ! Moi, je sais comment le faire chanter : il faut lui donner trois petits coups de bâton ! Alors, tu vas l’entendre, je te jure ! Surtout n’oublie pas : pas de cui-cui, plus de kiki !
        Mais la petite fille n’eut pas le cœur oh ! Non ! Non ! de battre l’oiseau.
        Le soir, elle décida d’ouvrir la cage et d’ouvrir la fenêtre, et, après un dernier baiser sur son bec, elle lança l’oiseau vers le ciel et le regarda s’envoler.
        Quand sa marraine l’apprit, elle éclata de rage.
        — Ah ! tu m’as désobéi ! Petite peste ! Je te garde, je te nourris, je t’offre même un oiseau, et tu le laisses s’en aller ! Tu vas voir ce que tu mérites !
        Or, quelques jours plus tard, lorsque Camille rentra de l’école, elle aperçut sa maman.
        Camille était folle de joie.
        Mais aussitôt à côté de sa mère, elle vit un homme sale et barbu qui s’approchait.
        Camille eut peur, elle recula, elle cria, et puis tout à coup… elle se jeta dans ses bras…
        Les bras de son papa. Il était revenu lui aussi. La guerre était finie.
        Juste au-dessus d’eux, un oiseau les regardait s’embrasser. Et l’oiseau se mit à chanter, à chanter, à tue-tête, à chanter le beau chant oublié du bonheur.

 

François David
L’oiseau bonheur
Paris, Albin Michel, 2003
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