J’ai 6 ans.
Je suis dans ma chambre.
Les murs sont orange, j’aime bien le orange.
C’est mon père qui a posé le papier peint.
Ma mère crie, trop fort. Mon père aussi.
Les cris me font peur, très peur.
Il y a du bruit aussi, je crois qu’ils se battent.
Je n’ai jamais entendu ma mère crier comme ça.
Je voudrais y aller, je voudrais qu’ils arrêtent, je reste sur mon lit.
Ma mère arrive en hurlant dans ma chambre, mon père est juste derrière elle.
Elle veut que je la protège.
Il l’attrape par les cheveux et veut la tirer hors de ma chambre.
Elle tombe, il lui donne des coups de pied. Même sur le visage.
Je hurle moi aussi.
Je veux ABSOLUMENT qu’il arrête, il doit arrêter.
Je vais souvent au jardin du Luxembourg avec mon père, on joue au ballon.
Mon père tape dedans. Je suis petit et le ballon est très gros.
Mon père est ce ballon. Il est cette force qui ne veut pas redescendre.
Je l’admire tellement d’être ce ballon, et c’est ce que je veux être, moi aussi.
Je ris avec lui.
J’ai 7 ans et mes parents divorcent.
Ma mère me l’apprend dans un train, en revenant de vacances.
Mon père ne vivra plus avec nous.
Pour me consoler, ma mère m’a acheté un chat.
Pourtant mes parents continuent à se voir et un matin il y a des bottes devant la chambre de ma mère.
Les bottes sont celles de mon père.
Ils ne vivent plus ensemble, mais je vois les bottes devant la porte.
Je pars à l’école, j’ai vu les bottes, j’ai pas vu mon père.
J’ai drôlement peur la nuit.
Il ne faut jamais éteindre la lumière dans le couloir, ni fermer la porte, sinon les monstres apparaissent.
Une nuit, je crois bien avoir vu une tête de mort sous mon lit.
Ma mère m’a dit que, étant bébé, j’ai été battu.
Je ne m’en souviens pas.
C’est peut-être pour ça que j’ai toujours peur.
Les pistolets me rassurent, j’en ai toujours un en jouet avec moi.
J’imagine que mon jouet est un vrai pistolet et que personne ne peut me faire de mal. J’en ai même un sous mon oreiller comme dans les films à la télé.
À l’école, ils ont dit à ma mère que je devais arrêter de venir en classe avec des armes, alors elle m’a interdit d’en amener à l’école.
Mais j’arrive à les cacher et j’en apporte quand même.
Mon père a une nouvelle femme.
Chez eux je n’ai pas vraiment de chambre.
Je dors sur un matelas dans un coin, parmi des valises vides.
Ici, je n’ai pas peur des monstres, ils n’ont pas la place de se cacher.
Et puis il y a toujours du bruit et de la lumière.
Dans mon coin, je m’invente des histoires terribles de batailles avec mes jouets.
Il y a plein de morts et des héros que rien ne peut blesser.
Pour mes 9 ans, mon père m’offre un robot américain. C’est le plus beau jouet du monde. Il est très grand et de la lumière sort de ses yeux et de son laser intergalactique.
On l’a trouvé dans une petite boutique qui ne vend que ça.
C’est une journée magnifique.
J’imagine que moi aussi j’ai des super pouvoirs.
Je sais voler, je suis extrêmement fort et rien ne me fait peur.
Je défends les faibles. Tout le monde m’aime, sauf bien sûr les super méchants.
Avec eux, je serai assez ferme.
C’est le matin, je n’ai pas vu la bouteille de vin vide.
En tombant, elle fait du bruit et réveille mon père.
Il est hors de lui et me court après dans la cuisine.
En essayant de lui échapper, je renverse d’autres bouteilles. Il va me faire mal.
C’est comme ça, des fois il crie et il me frappe. Après il est triste comme si c’est lui qui avait mal, et il me demande pardon en ayant l’air très malheureux.
Comme il pleure, je crois que c’est ma faute s’il est triste. Alors je m’en veux de le voir comme ça.
Mais c’est pas vrai, c’est pas de ma faute.
Moi je ne suis qu’un enfant et je ne peux rien aux histoires des grands.
Je l’aime et je ne veux pas lui faire de mal mais il me fait tellement peur.
Un jour, moi aussi j
e serai un grand, et plus personne ne pourra me faire de mal, plus personne ne me fera peur.
Je défendrai toutes les mamans et les enfants…
… Ce jour-là…
…
JE SERAI UN SUPER HÉROS !