Babouchka

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        C’était la veille de Noël. Il faisait si froid que la vieille Babouchka n’était pas sortie de la journée. Elle avait préféré rester assise près du feu et tricoter un cache-nez avec tous les restes de laine de l’année.
        La vieille Babouchka était grosse et douce comme un pudding de Noël. Et du lever au coucher du soleil elle n’arrêtait jamais de balayer, épousseter et polir tout ce qu’il y avait autour d’elle !
        Chez elle, jamais un grain de poussière ou une toile d’araignée.
        Elle était toujours occupée car il y avait un grand vide dans son cœur.
        Et cela la rendait bien triste lorsqu’elle y pensait…

 

        Une nuit, Babouchka était en train de polir les chandeliers quand elle aperçut par la fenêtre une nouvelle étoile étincelante qui clignotait.
        « Malheur, les vitres sont bien sales ! » se dit Babouchka.
        Et elle commença à les nettoyer.
        L’étoile se cacha derrière un nuage.
        Et la vieille Babouchka regarda et vit un ange dans le jardin.
        « Bonnes nouvelles ! chanta l’ange.
        — Si vous voulez entrer, essuyez tout d’abord vos pieds », demanda Babouchka.
        Et l’ange vola bien loin…

 

        Dehors, la neige avait blanchi les montagnes, les arbres et les champs, le vent hurlant faisait tourbillonner les flocons et chaque nouvelle rafale attisait le feu dans la cheminée.
        Soudain « toc, toc, toc ». On frappa à la porte.
        C’était trois hommes avec des barbes blanches si longues qu’elles touchaient le sol et se perdaient dans la neige. Trois rois avec leurs couronnes d’or.
        « Entrez, Majestés, invita Babouchka, mais s’il vous plaît, déchaussez vos bottes.
        — Babouchka, nous savons que tu aimes les enfants, et chaque fois qu’il en naît un, tu lui apportes des cadeaux. Aussi, nous sommes venus de loin pour t’annoncer qu’il est né un petit prince, Jésus. Nous avons suivi l’étoile, et nous nous dirigeons vers l’endroit où se trouve le nouveau-né. Nous nous rendons chez lui pour lui apporter nos cadeaux : encens, myrrhe et or. Veux-tu venir avec nous ?
        — Je ne peux pas voyager, je n’ai pas le temps ! avoua Babouchka. Et la vaisselle, qui la lavera après ? Qui fera le ménage ? Qui enlèvera les traces sur les vitres ? »
        Les chameaux des rois attendaient à la porte.
        « Oh ! s’exclama Babouchka. Parbleu, allez-vous-en ! Vous salissez l’entrée ! Shoo ! Shoo ! »
        Et elle agita furieusement un chiffon à poussière.
        Les chameaux se sont enfuis au galop bien loin… et les rois sont partis en courant derrière eux.
        « Je vais me reposer un peu, déclara Babouchka, et après je vais nettoyer la cage du canari. »
        À peine assise, elle succomba au sommeil…

 

        L’ange revint et chanta un merveilleux refrain qui parlait d’un petit bébé né dans une étable, enveloppé de langes et couché dans une pauvre mangeoire…
        L’étoile, laissant derrière elle les nuages, se faufila par la fenêtre et réveilla Babouchka qui s’exclama : « Mon Dieu ! Un bébé né dans une sale étable pour animaux ! Où il n’y a même pas un châle chaud ! Je dois me mettre en chemin ! ».
        Et Babouchka prit un panier où elle mit un petit nounours, un châle chaud et une bouteille de liqueur de gingembre pour les plus âgés. Et elle partit rapide comme l’éclair !
        Dans le ciel illuminé par l’étoile comme s’il faisait jour, il y avait des anges partout…
        Mais Babouchka ne s’en aperçut même pas…
        « Que de poussière sur le chemin ! Quelle honte ! »

 

        Entretemps, Babouchka distingua une femme et sa petite fille sur la route. La petite pleurait.
        « Qu’est-ce qu’il y a, ma chérie ? lui demanda Babouchka.
        — Nous allons à la rencontre du nouveau roi, et elle a perdu sa poupée, déclara la mère.
        — Elle a dû tomber de ma poche ! » ajouta la petite en sanglots.
        Babouchka prit alors le petit nounours qui se trouvait dans son panier et l’offrit à la petite.
        Celle-ci essuya ses larmes et sourit de bonheur.
        « Prends ça, avec toute ma bénédiction », ajouta Babouchka en lui présentant l’ourson.

 

        Un peu plus loin, Babouchka rencontra une très vieille femme qui se plaignait tout le temps.
        Elle boitait et se déplaçait avec beaucoup de difficulté et de souffrance.
        « Qu’avez-vous, bonne mère ? lui demanda Babouchka.
        — Je suis si heureuse d’aller voir le nouveau né, dit la petite vieille, mais je ne peux pas marcher plus vite car j’ai vraiment mal aux jambes.
        — Tenez, dit Babouchka, avalez cette liqueur de gingembre ! Elle vous fera du bien ! »
        La vieille femme prit alors une grande gorgée de la bonne liqueur et se sentit tout de suite bien mieux. Elle s’en alla revigorée, un petit sourire sur ses lèvres, en remerciant de tout son cœur la bonté de Babouchka.

 

        Peu de temps après, Babouchka rejoignit un berger portant un agneau qui venait de naître.
        Le pauvre garçon tremblait de froid.
        « Je ne peux plus suivre les autres ! Avec le froid qu’il fait, mes bras sont si gelés que j’ai du mal à tenir ce petit agneau. J’aimerais tellement l’offrir en cadeau au roi nouveau-né ! ».
        Babouchka enleva tout de suite le châle qu’elle avait sur ses épaules.
        « Prenez ce châle, dit-elle. Vous ne sentirez plus le froid pendant le voyage ! »
        Et Babouchka continua son chemin.
        Le panier était maintenant aussi léger que l’air.
        Babouchka s’arrêta et regarda à l’intérieur. Il était vide !

 

        « Oh, que je suis bête ! se dit-elle. J’ai donné tous les cadeaux, et malheur des malheurs, je ne peux pas aller saluer le nouveau-né les mains vides ! »
        Et, lorsqu’elle s’apprêtait à faire demi-tour, elle entendit une voix qui l’appelait : « Babouchka ! ».
        C’était Marie.
        Vacillante, Babouchka s’arrêta. « Je n’ai pas de cadeaux à offrir… », avoua-t-elle péniblement.
        « Soyez la bienvenue ! », salua Marie, un beau sourire sur son visage.
        Babouchka rentra dans l’étable. Il y avait un bébé enveloppé dans un châle chaud. Le nounours était à côté de lui dans la mangeoire. Et le père, Joseph, buvait une liqueur de gingembre, bien fortifiante…
        « Mais j’ai donné tous ces cadeaux ! s’exclama Babouchka, stupéfaite.
        — Tout ce que tu as donné avec tant d’amour, c’est à mon fils que tu l’as donné ! », ajouta Marie.
        Babouchka regarda tout autour d’elle.
        « Voyez ces toiles d’araignée, s’exclama-t-elle. Il faut bien que quelqu’un les nettoie ! »

 

        Alors le petit bébé lui tendit les bras et sourit.
        Ses yeux semblaient immenses et mystérieux. On dirait une nuit étoilée et profonde… Son sourire était l’amour même.
        Babouchka éprouva une sensation tellement insolite qu’elle en oublia le nettoyage…
        « Voulez-vous le tenir dans vos bras ? » lui demanda Marie.
        Babouchka prit alors l’enfant dans ses bras.
        Entourée d’animaux, elle caressa le vieil âne gris… Et l’âne pressa le museau contre son oreille…
        Heureux, le nouveau-né sourit. Babouchka le serra contre elle.

 

        « Paix sur la Terre ! » chantèrent les anges.

 

Sandra Ann Horn
Babushka
Porto, Campo das Letras, 2002
(Traduction et adaptation)
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