Au revoir, Adelaïde

 

Adélaïde,
Tu disais toujours :
les paroles s’envolent, les écrits restent.
Je t’écris cette lettre pour être sûr de t’avoir tout dit.

 

Le jour où j’ai croisé ton chemin,
nom de tonnerre, quel coup de foudre !
Parole de Maturin…

 

 

J’étais le plus heureux des kangourous.
Avec toi, j’étais prêt à tout.

 

Il y avait tant de choses à voir :
Paris, Texas, le grand Atlas, la rivière Kwai, Versailles…
Tant de choses à découvrir…
Les châteaux de la Loire, la Forêt-Noire, le Saint-Gothard,
le Pont du Gard et des Soupirs. Que de souvenirs !

 

 

Je le reconnais, Adélaïde,
j’étais aussi très occupé.
Mais toi non plus, tu ne chômais pas !
Le riz au lait, la soupe aux pois, le bavarois n’avaient plus de secret pour toi.
J’adorais t’entendre chanter : « Le petit fromage à la crème que chacun voulait manger soi-même ».
Comme tu nous gâtais !

 

 

Nos enfants ont grandi et ont quitté la maison.
À nous l’Australie ! La Californie ! Le Japon !
Quelles épopées !

 

C’est le jour où tu as fait de la soupe aux roses
que j’ai commencé à m’inquiéter.

 

 

Tu n’aimes pas ma soupe, Maturin ? Tu en fais une tête.
Je la trouve un peu piquante, Adélaïde.

 

Je ne voulais pas te contrarier…
Maturin ! Mes lunettes ne me servent vraiment plus à rien !
Maturin ! Il y a un lapin dans notre salle de bain…
Mais comment donc est-il entré, puisque la porte était fermée ?

 

 

Petit à petit, j’ai compris ce qui nous arrivait.
La maladie s’insinuait comme un lent poison.
Elle emportait tes mots, ton sourire, nos souvenirs, ta raison.

 

Que m’arrive-t-il, Maturin ? Mes nouilles s’embrouillent.
Ne t’en fais pas Adélaïde, je vais les démêler.
Laissez-moi partir ! Je suis en prison ! Je veux rentrer chez moi !
Fais-moi confiance, Adélaïde, on va s’échapper.

 

 

Ils sont fouzzis, je les ai fizzés.
Je te le promets, Adélaïde, je vais les réparer.

 

Le plus souvent, je ne savais pas de quoi tu parlais.
Adélaïde chérie,
j’ai fait tout ce que je pouvais pour emménager
dans ton monde, pour le rendre habitable, confortable.
Ce monde de l’oubli, impitoyable.

 

 

Là, c’est toi, Adélaïde, devant le grand hôtel. Trois étoiles !
Comme tu étais belle dans ta robe en voile !
Les sacoches ! Ta marotte ! On en a fait des magasins !
Et ici, tu te souviens ?
Tu adorais les glaces au romarin…

 

Un jour, je te l’avoue, j’étais à bout…
Cela ne m’est arrivé qu’une seule fois,
mais ce n’était pas contre toi.
C’est la maladie que je voulais tuer !
J’aurais tout fait pour te sauver.

 

 

Finalement, cela m’a fait du bien de me dépenser.
En plus, ça m’a donné une idée.

 

Ce soir-là, je n’ai pas dormi. Tu disais toujours
que la nuit porte conseil.
Comme tu avais raison !
Adélaïde,
pour un sourire de toi, j’aurais dit n’importe quoi.
J’aurais fait des folies pour te sortir de ton lit.
J’aurais tout donné pour une dernière échappée.

 

 

Regarde, Adélaïde, Paris s’éveille !
Tu es prête ?
On prend la poudre d’escampette !
Cela t’amuse, Adélaïde ? Tu souris !
Quelle belle échappée !

 

Adélaïde chérie,
je n’ai pas réalisé tout de suite que tu étais partie,
sans faire de bruit, en catimini.
Aujourd’hui, je voudrais juste te dire merci.
Ta fantaisie, ta coquetterie, étaient le sel de ma vie.
Mes plus beaux rêves, mes plus grandes joies,
c’est à toi seule que je les dois.

 

 

Adélaïde,
Il y a longtemps que je t’aime,
jamais je ne t’oublierai.
Ton Maturin

 

 

Geneviève Casterman
Au revoir, Adélaïde
Paris, l’école des loisirs, 2015
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