Dans un village vivaient deux frères. L’un était riche et entouré par femme, enfants et amis ; l’autre était pauvre et sans soutien. Le riche ne pensait jamais à son frère. Lorsqu’il lui arrivait de s’en souvenir, il chargeait la servante de lui porter les restes de son repas en lui disant :
— Porte ces nourritures à Tombe Oubliée.
Mais la servante ne savait pas que Tombe Oubliée était le surnom du frère de son maître. Elle se rendait tout droit au cimetière et déposait les restes du repas sur une vieille tombe abandonnée.
Un jour, le pauvre homme quitta son village natal dans l’espoir de trouver la fortune. Après une longue marche, il arriva près d’un campement de nomades. C’était la fête. On célébrait le mariage de la fille du chef avec l’un de ses cousins.
Le pauvre homme se cacha et, lorsque la fête s’acheva, tard dans la nuit, il s’approcha sans bruit de l’enclos. Il désirait voler un bon cheval afin de poursuivre sa route. Tout le monde dormait sous les tentes. Seule la mariée était encore éveillée : elle n’aimait pas l’époux qu’on lui avait choisi. Elle aperçut donc le voleur.
Celui-ci détacha un cheval fougueux, mais comme il était maladroit, il n’arrivait pas à monter sur son dos. Il roula plusieurs fois à terre sous le regard amusé de la jeune mariée. Finalement, il se fit mal et ne put se relever. Le cheval menaçait de le piétiner. Alors la jeune femme accourut et l’aida à se remettre sur ses jambes. Puis, sans dire un mot, le hissa sur le dos du cheval et sauta en troupe. Le cheval partit au galop.
Le cheval galopa jusqu’au lever du jour. La mariée tenait les rênes d’une main et serrait de l’autre son compagnon qui menaçait de tomber à chaque instant. Ils arrivèrent dans un village inconnu. Ils cherchèrent une maison où s’installer. On leur indiqua une masure abandonnée à l’écart du village et qu’on disait hantée. Ils s’y installèrent.
— Et maintenant que nous sommes mariés, comment allons-nous vivre ? dit le pauvre homme. Nous n’avons pas d’argent. Vendons le cheval.
— Ne touchons pas au cheval, répondit la femme. Il pourra de nouveau nous être utile. Prends ma bague et va la vendre.
Au marché, le pauvre homme ne trouva pas d’acheteur pour la bague. On voulut tout juste la lui échanger contre une chienne. Lorsqu’il revint avec la chienne et les mains vides, sa femme commença à regretter d’être partie avec lui.
— Ne désespère pas, femme ! lui dit-il. Dieu n’abandonne jamais ses créatures.
On attacha la chienne à un anneau métallique fixé au mur dans un coin de la maison.
Or, dans la nuit, la chienne tira tant et tant sur sa laisse qu’elle finit par desceller la pierre où l’anneau était fixé. On entendit alors un bruit mystérieux et la maison s’illumina tout d’un coup. L’homme et la femme, plus morts que vifs, se cachèrent sous les couvertures. Comme aucun bruit ne leur parvenait, ils finirent par se lever. Ils découvrirent le sol recouvert de pièces d’or. La pierre avec l’anneau métallique cachait un trésor.
Après avoir ramassé tout cet or providentiel, Tombe Oubliée retourna dans son village natal en compagnie de sa femme, du cheval et de la chienne. Il bâtit un beau palais en face de la maison de son frère et, bien qu’immensément riche, il sut être généreux.
Rabah Belamri
17 contes d’Algérie
Paris, Flammarion, 2009