Dans un joli massif de fleurs, un œuf reposait, bien à l’abri.
Un matin, l’œuf commença à vibrer, à trembler, à se fendiller.
Enfin, il craqua.
De la coquille brisée émergea un petit coq qui n’avait pas une seule plume sur le corps.
Un petit coq tout nu.
Dès que le vent soufflait, le petit coq tout nu attrapait un rhume.
Il éternuait sans cesse car, en plus, il était allergique aux pollens.
Un jour, le petit coq tout nu, qui n’avait pas d’ami, vit quatre magnifiques coqs sortir de la forêt. Couverts de plumes splendides, ils marchaient, la tête haute.
Le petit coq tout nu leur demanda :
« Où allez-vous ainsi ? »
Sans même lui jeter un regard, les quatre coqs lui répondirent :
— Faire du bateau !
Le petit coq tout nu leur demanda alors :
« Puis-je vous accompagner ? »
Les quatre coqs le toisèrent avec mépris et répondirent :
— Certainement pas ! Nous ne fréquentons pas les coqs tout nus.
Puis ils tournèrent la tête, levèrent très haut le bec et montèrent dans leur bateau.
Le petit coq tout nu était triste. Ses yeux se remplirent de larmes.
C’est alors qu’il glissa sur une pierre et tomba dans une flaque.
Quand il se releva, il avait le corps couvert de boue et la tête coiffée d’une vieille boîte de conserve.
Puis un vent violent se mit à souffler. Il projeta sur le petit coq tout nu des feuilles, des morceaux de papier et un tas d’autres choses.
Pour la première fois de sa vie, le petit coq tout nu n’avait plus froid. Les feuilles le protégeaient comme des plumes.
Il se regarda et se trouva superbe.
Depuis leur bateau, les quatre coqs l’aperçurent dans sa nouvelle tenue.
« Oh, s’exclamèrent-ils, quel superbe coq ! Et ce chapeau est d’un chic ! »
Ils ramèrent alors jusqu’au rivage et invitèrent le petit coq à se joindre à eux.
Dans le bateau, les cinq coqs commencèrent à discuter pour savoir lequel d’entre eux était le plus beau. Afin de se mettre en valeur, ils se pavanaient en agitant les ailes.
Pour le nez si sensible du petit coq, ce fut trop. Il commença à éternuer bruyamment.
Il éternua si fort que le bateau se mit à tanguer. Effrayés, les autres coqs s’écartèrent en criant. Le bateau bascula encore plus et…
dans un énorme plouf, il chavira !
Les cinq coqs tombèrent dans le lac.
Quand l’eau redevint calme, on vit apparaître à la surface le petit coq, à bout de souffle. Les feuilles qui lui couvraient le corps s’étaient décollées.
« Oh, non ! » se désespéra-t-il.
Puis, soudain, les autres coqs émergèrent à la surface.
Un… deux… trois… quatre coqs tout nus !
Ils se regardèrent tous avec horreur. Ils n’en croyaient pas leurs yeux.
Le petit coq tout nu ne put se retenir. Il éclata de rire.
Alors, un par un, les autres coqs se joignirent à lui. Ils se gondolaient, gloussaient et caquetaient à en perdre haleine.
Les cinq coqs regagnèrent le rivage et s’ébrouèrent pour se sécher.
« Hé ! leur dit alors le petit coq tout nu. On s’est bien amusés, non ? Si on recommençait demain ? »
Les autres coqs réfléchirent quelques secondes, puis répondirent :
— Quelle bonne idée !
Et ravis, les cinq coqs regagnèrent la forêt. Tout nus.
Chih-Yuan Chen
Le petit coq tout nu
Paris, Les Albums Casterman, 2008