Péric et Pac

 

   Dans le beau pays de Bretagne, là où poussent l’herbe et les cailloux, vivait un petit garçon du nom de Péric. Péric voyait que le ciel était posé sur la cime des arbres, et il pensait que l’herbe poussait au printemps et que les cailloux poussaient en hiver.
   Péric aimait discuter avec ses chèvres, et ses chèvres aimaient l’écouter et elles lui répondaient. Tous s’entendaient très bien.
   Mais un jour, Péric arriva très, très en retard au pré. Pac, la plus vieille chèvre, s’était inquiétée.
   « Qu’est-ce qui t’est arrivé ? » lui demanda-t-elle, « habituellement tu arrives en même temps que le soleil du matin ! »
   « C’est parce que je suis allé à l’école », répond Péric tout joyeux.
   « À l’école ? » répéta Pac.
   Péric sortit de sa besace un curieux objet.
   « Regarde », dit-il à Pac, « ça s’appelle un LIVRE, et dedans il y a des MOTS ! »

 

 

   Pac ouvrit le livre avec son sabot et colla son oreille sur les pages.
   « Peuh ! » fit-elle déçue, « je n’entends rien, il n’y a pas de mots dans ton machin ! »

 

 

   Péric rit et fit une pirouette.
   « Mais si, mais si : les mots sont ÉCRITS dans le livre. Ce sont des mots silencieux accrochés sur le papier. »
   Pac ouvrit de grands yeux ronds sans trop comprendre.
   « Et moi, j’apprends à les LIRE ! » reprit Péric.
   « Lire ? » répéta Pac.
   « Oui, ça veut dire écouter avec les yeux les mots écrits sur le papier. Et quand tu sais lire, eh bien, les mots du papier te racontent des milliers d’histoires. »
   « Ohhh », dit Pac émerveillée, « moi aussi je veux apprendre à lire ! »
   « D’accord » dit Péric, « tu vas voir, c’est très facile. »
   Et c’est ainsi que tous les après-midi, Péric enseigna à Pac les mots qu’il avait appris le matin à l’école.
   Le temps avait passé.
   Pac savait très bien lire maintenant, et tant qu’il y avait de la lumière, elle lisait tous les livres que Péric rapportait de l’école.

 

 

   Un jour, Pac ouvrit le DICTIONNAIRE, et elle découvrit tellement de choses merveilleuses dans ce gros livre qu’elle voulut les partager avec toutes ses amies.
   « Hé ! les copines », dit-elle aux chèvres, « écoutez un peu ça ».
   Pac ouvrit son dictionnaire à la page 209 et lut :
   « CIEL n.m. (lat. caelum) espace infini dans lequel se meuvent les astres. // Partie de l’espace qui semble former une voûte au-dessus de nos têtes. »
   Pac lança le livre en l’air en riant.
   « Vous comprenez ? En vérité, le ciel n’est pas posé sur les arbres, en vérité nous sommes sur une planète qui tourne et… »
   « Oh, silence ! » coupa une des chèvres, agacée par les histoires de Pac, « depuis que tu sais écouter les mots des livres, tu n’arrêtes pas de nous embêter avec tes idées bizarres. »
   « Bêêêê, c’est vrai ! » ajouta une autre chèvre, « tu nous casses les oreilles, on ne comprend rien à ce que tu dis. Moi je vois que le ciel, il est posé sur les arbres et je suis très contente comme ça. »
   Et, furieuses contre Pac, les autres chèvres allèrent brouter loin d’elle.

 

   Lorsque l’école fut finie, cet après-midi-là, Péric courut jusqu’au pré retrouver ses chèvres.
   Mais Pac ne lui dit pas bonjour et elle lui tourna le dos.
   Et les autres chèvres s’en allaient dès qu’il s’approchait et quand il se retournait, elles lui tiraient la langue.
   Péric alla voir Pac et lui demanda :
   « Que se passe-t-il aujourd’hui, les sauterelles vous ont mordues ? »
   Mais Pac répondit : « Bêêêêê ! »
   « Tu ne parles plus ? » demanda Péric surpris et Pac fit : « Bêêêêê ! »
   Alors Péric vit au loin, dans l’herbe, le gros dictionnaire tout déchiré, tout piétiné et tout sali.
   « Qui a détruit le beau dictionnaire ? » demanda Péric très inquiet.
   « Bêêêêê », bêla Pac, « ce n’est pas moi, je suis une chèvre, je ne sais pas lire. »
   « Qu’est-ce que tu racontes ? » dit Péric. « Ce n’est pas vrai, tu lis très bien et tu es très intelligente. »
   Alors Pac fondit en larmes dans les bras de Péric et elle lui raconta tout ce qui s’était passé.
   Péric était bien triste à son tour, mais voilà qu’il eut une idée, et il dit aussitôt son idée dans l’oreille de Pac.

 

   Le lendemain matin, quand les chèvres se réveillèrent, Pac leur dit :
   « Il était une fois un roi très gentil qui aimait beaucoup son peuple. Mais dans son château vivait une horrible sorcière et elle voulut tuer le roi… »
   Puis Pac s’en alla brouter ailleurs.
   Les chèvres furent surprises par les mots de Pac, mais l’histoire les avait intriguées, et elles se mirent à suivre la vieille chèvre.
   « Hé ! » fit l’une d’elles, « ta sorcière, là, elle va lui faire du mal au roi ? »
   Alors Pac s’assit dans l’herbe mouillée de la rosée du matin, et autour d’elle, les autres chèvres s’assirent à leur tour.
   Et Pac dit : « La sorcière était terrible, elle avait le menton crochu, le nez tordu et un chapeau pointu… » et ainsi elle raconta aux chèvres fascinées comment le roi combattit la sorcière, et les chèvres applaudirent Pac et l’embrassèrent… et elles redemandèrent une autre histoire.

 

 

   

 

   Et lorsque Péric revint de l’école, Pac racontait encore des histoires, toutes les histoires qu’elle avait lues dans les livres. Et chaque jour ce fut la même chose.
   Mais quand le soir venait, Pac rejoignait Péric, et ensemble ils lisaient d’autres histoires merveilleuses…
   …des histoires d’arbres qui poussent et de poussière qui devient cailloux, et de cailloux qui deviennent planètes et de planètes qui tournent autour du soleil dans un univers si grand qu’il pourrait contenir des millions et des milliards d’histoires.

 

 

Jennifer Dalrymple
 Péric et Pac
Paris, l’école des loisirs, 1994
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