Pourquoi les enfants ne veulent-ils pas aller dormir ?

Pourquoi les enfants ne veulent-ils jamais aller dormir ?
C’est vrai, au moment d’aller se coucher personne n’est fatigué !
« – Moi, je mangerais bien encore un peu de tarte…
– Moi, je voudrais encore un petit câlin…
– Moi, je n’ai pas fini mon livre…
– Moi, je voudrais rester avec les grands…
– Moi, j’ai oublié de me laver les dents…
– Moi, je n’ai pas terminé mon dessin…
– Moi, j’ai encore envie de faire pipi…
– Moi, mon lit est mal fait…
– Moi, tu m’as promis de me raconter l’histoire quand tu étais petit…
– Moi, je n’aime pas les rêves où j’ai peur… »

 

Il y a de quoi tourner en bourrique quand on est grand, quand on est papa ou maman, qu’on a déjà fait dix câlins, qu’on a raconté dix histoires, qu’on a fait mille baisers, qu’on a lavé dix fois plein de dents de lait et qu’on a refait dix fois dix lits, sans compter les oreillers !
« Et tous les soirs c’est la même chose », répétait le papa des dix enfants, « tous les soirs, tous les soirs, tous les soirs !… »
Et il avait beau dire et répéter à ses dix enfants : « Un jour, vous me ferez tourner en bourrique !… Un jour vous me ferez tourner en bourrique !… » aucun de ses enfants ne le prenait au sérieux et tous riaient sous leurs couvertures !

 

Un soir pourtant les enfants furent bien étonnés quand toutes les chemises de nuit et tous les pyjamas furent enfilés…
On avait ri plus encore que d’habitude, on avait éclaté les édredons à duvets de poule, on s’esclaffait avec des grands hi, hi, hi et des grands han, han, han,… quand on vit entrer un âne dans la chambre !
« Regardez », dit le plus petit, « papa s’est changé en bourrique, il a tourné en bourrique à force de courir partout après nous ! » et lui il avait bien envie de rire, mais tous les autres étaient tellement sérieux qu’il s’arrêta en plein milieu de son rire.
Les plus grands vinrent toucher l’animal et déclarèrent que papa était bien devenu un âne, que c’était bien lui, qu’il sentait le tabac… et ils se mirent aussitôt à avoir très peur.

 

 

« On a changé notre papa en âne », se lamentait l’aîné des garçons. « Papa est devenu une bourrique », sanglotait l’aînée des filles.
Il n’y avait que le plus petit qui trouvait ça bien doux et bien chaud, pour s’étonner de voir tous les autres se plaindre. Avoir un papa âne, pensait-il, c’est bien plus amusant surtout à cause des oreilles ; mais les grands avaient si peur qu’il eut peur lui aussi.
« Comment on va faire ? … papa… papa », imploraient les filles… « arrête s’il te plaît de jouer à l’âne ! »

 

Mais l’âne restait tout à fait âne et s’il se laissait caresser, cajoler, il était tout étonné que ce soit au milieu de pleurs, d’angoisses, et de prières. Il finit par se coucher là, en se prêtant docile à toutes les caresses.
Et la plus petite fille disait : « Je ne ferai plus pipi au lit… »
Et le plus grand garçon disait : « Maintenant on ira se coucher tout de suite… »
Mais l’âne restait âne !
Alors la plus grande des filles proposa : « On va tous embrasser papa sur le museau et on ira se coucher tout de suite après ; comme ça, peut-être que papa acceptera de se rechanger en papa ! »
Aussitôt dit, aussitôt fait ; l’âne se trouva tout couvert de baisers et tout le monde regagna son lit.

 

Pourtant, si les plus petits s’endormirent tout de suite pour avoir trouvé le câlin très doux, les plus grands ne dormaient que d’un œil ; ils attendaient avec inquiétude quand l’âne redeviendrait papa.
L’âne, allongé sur le flanc, se mit à dormir lui aussi dès que la lumière fut éteinte et les trois grands, qui veillaient encore en bâillant de fatigue finirent par s’endormir à leur tour en se disant qu’après tout… c’était la première fois que leur papa dormait avec eux dans leur chambre, qu’il n’y avait rien à craindre, qu’on verrait bien demain.
Quand le silence fut complet et qu’il n’y eut plus de caresses à attendre, l’âne se sentit un petit creux à l’estomac, il flaira la moquette et les édredons mais décida que ce n’était pas comestible ; il eut une irrésistible envie de retrouver son avoine favorite. Il se remit sur ses sabots sans bruit et quitta la maison pour retourner au champ voisin d’où il s’était enfui et dont on avait oublié de fermer la barrière.

 

Quand le papa revint pour de vrai quelques instants après il fut tout étonné de trouver la porte grande ouverte par l’âne qu’il n’avait pas vu, mais plus encore de voir ses dix enfants endormis sagement. Un petit crottin au bas de l’escalier l’intrigua davantage…
Il ne comprit ni ne sut vraiment ce qui s’était passé mais lorsque les soirs suivants il disait à ses enfants encore éveillés :
« Vous allez me faire tourner en bourrique, si vous ne vous couchez pas tout de suite ! » tous les enfants s’enfilaient immédiatement sous les couvertures comme par magie !
Seul le plus petit qui espérait encore caresser un papa âne faisait quelques difficultés, mais il bâillait très vite et s’endormait le pouce à la bouche, en tirant l’oreille droite de son papa.
Depuis ce jour le papa, sans en connaître la raison exacte, n’avait qu’à prononcer la phrase magique : « Vous allez me faire tourner en bourrique… » pour que les colères cessent, que les dents se lavent, que les disputes s’arrêtent, que les paupières se ferment.

 

Je conseille donc à tous les parents d’essayer la phrase magique et à tous les enfants de rêver de caresser un âne doux comme un câlin pour s’endormir en paix.

 

Jean-Hugues Malineau ; Lise Le Cœur
Trois histoires pour aller dormir
Paris, l’école des loisirs, 1980
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