Au beau milieu de l’étang, sous une feuille de nénuphar, maman grenouille a pondu ses œufs, des centaines et des centaines de petits œufs blottis les uns contre les autres.
Bientôt, cette grappe de minuscules raisins se met à vibrer, à remuer, à gigoter, et soudain, toute une colonie de petits têtards en sort. Quelques coups de queue… et les voilà partis aux quatre coins de l’étang !
« Ouf ! Quel bonheur d’être enfin sorti de ce petit œuf ! s’écrie Léo. Et maintenant, en route ! » Le petit têtard n’a qu’une envie : partir découvrir le monde…
Clic, clac… Sa longue queue est un excellent gouvernail. Un coup à gauche, un coup à droite, le petit têtard danse au fond de l’eau. Mais c’est aussi une bonne raquette : « Venez jouer, les amis ! » crie Léo, tout fier de sa découverte. Et hop ! Il lance la balle qui tourbillonne. À la balle qui tourbillonne. À la balle aux bulles, Léo est champion !
Mais même dans le plus beau des étangs, il y a parfois des troubles fête. « Bas les pattes ! » s’écrie Léo lorsque l’un d’eux l’attaque au détour d’un rocher. Et il se défend à grands coups de battoir.
Décidément, cette longue queue est vraiment très pratique ! se dit le petit têtard.
Un beau matin cependant, Léo pousse un cri en se réveillant. Deux membres bizarres ont poussé le long de son corps.
« Quelle horreur ! » hurle le petit têtard.
« Ce sont tes pattes, ne t’inquiètes pas, mon chéri ! le console sa maman. C’est normal, tu grandis. »
« Exactement, dit la salamandre, sa voisine, qui passait par là. Tu verras : elles te seront très utiles dans la vie. »
Le cauchemar ne fait que commencer… À peine Léo s’est-il habitué à ses pattes arrière que deux autres apparaissent, juste derrière ses branchies.
« Oh non ! »proteste le petit têtard, pris de panique.
« Voyons, voyons, qu’est-ce qui t’arrive ? » coasse son grand oncle crapaud.
« C’est affreux ! J’ai des pattes qui poussent partout, sanglote Léo. Pour quoi faire ? Je ne suis pas un mille pattes ! »
Le crapaud rit si fort que des vagues font tanguer les nénuphars.
« Attends un peu et tu verras », dit-il de sa grosse voix.
Puis, d’un bond, il disparaît au fond de l’eau.
Dans l’étang, chacun essaie de le rassurer.
« Ne t’en fais pas, dit la crevette. Tu n’en as plus besoin, de cette queue. »
« Des pattes, c’est beaucoup plus pratiques ! » affirme la salamandre. Même les libellules s’en mêlent :
« Rien de tel pour avancer dans la vie », dit l’une d’elles.
« Tu grandis, tout simplement ! » dit une autre.
Mais Léo ne veut plus les entendre.
« Mais je ne veux pas grandir, moi ! Personne ne comprend ce que je ressens », s’écrie Léo désespéré. Et il fond en larmes.
Il s’enfonce alors tout seul entre les roseaux. Et là, il aperçoit un groupe de petits têtards, à peine sortis de l’œuf, en train de danser dans l’eau.
Clic, clac…Un coup à gauche, un coup à droite, leur jolie queue leur sert de gouvernail.
« Ah, où est l’époque où j’étais comme eux ! soupire Léo. Lui a bien changé entre temps.
Absorbé par ce spectacle, il ne remarque pas l’ombre immense qui se penche vers lui…
Un serpent !
« N’écoute pas ces bavards, siffle-t-il. Ils ne te racontent que des mensonges. On n’a pas besoin de pattes dans la vie… Regarde-moi ! »
Tout en parlant, il glisse et réglisse entre les algues.
« Et … comment faire pour m’en débarrasser et redevenir comme avant ? » demande Léo, pris de vertige.
« C’est simple, couche-toi dans le sable et reste là sans bouger. Alors tes pattes disparaîtront et ta longue queue poussera à nouveau. Moi, je veillerai sur ton sommeil. »
Il s’approcha de plus en plus.
Que faire ?
Les douces paroles du serpent rassurent Léo, mais ses yeux l’effraient. Son cœur bat comme un fou.
« Viens, viens », susurre le serpent à présent juste à côté de lui. Et soudain, il ouvre tout grand sa gueule. Alors, brusquement, les pattes de Léo se plient tel un ressort et hop ! Avant de réaliser ce qui lui arrive, il bondit hors de l’eau.
« Oh, bravo, quel joli bond ! s’écrie maman grenouille en le voyant atterrir sur la terre ferme. Où étais-tu donc passé ? »
« Moi ? Euh… » Encore tout essoufflé, Léo admire ses drôles de pattes qui viennent de lui sauver la vie.
« Ton premier bond, félicitations ! dit le crapaud. Te voilà grand maintenant. »
Eh oui, Léo l’a compris : une nouvelle vie commence pour lui…