La sœur de ma mère est bizarre.
Ça se voit parce qu’elle porte toujours un béret, même à l’intérieur.
Mais le truc le plus bizarre qu’elle ait fait, c’est d’avoir fabriqué une poupée en chiffon pour l’anniversaire de mon petit frère.
Un autre truc bizarre, c’est que mon petit frère a a-do-ré ce cadeau.
« Je vais t’appeler Cindy. »
Quand mon frère a voulu dormir avec Cindy, mon père a dit : « Rien de grave, ça lui passera. »
Le lendemain, il a pris le temps de l’habiller et aussi de partager ses céréales avec elle.
Maman trouvait ça mignon.
Mais lorsque mon frère a dit :
« Aujourd’hui, je t’emmène à l’école », mon père a dit :
« Là, non ! Stop ! Faut pas exagérer ! »
Mon frère ne voulait plus aller à l’école. On était bien avancés.
C’est Maman qui a trouvé les bons mots :
« Cindy n’a même pas de poussette… Et elle est bien trop petite pour marcher si loin… Il vaut mieux qu’elle reste à la maison, tu sais. »
Moi, j’avais bien une solution : il suffisait de la porter !
Mais Papa et Maman m’ont tout de suite fait de grands yeux qui voulaient dire : « Tais-toi. »
Ensuite, Papa a ajouté pour mon frère :
« Ce soir, on ira au magasin t’acheter un super jouet. Un vrai jouet de garçon. Ok ? »
Moi aussi, je voulais un super jouet, y’a pas de raison !
J’ai choisi une figurine de guerrier.
J’ai entendu Papa dire à Maman :
« Elles vont finir par nous coûter cher, les bêtises de ta sœur.
Et toi, qu’est-ce que tu veux ? Une épée ? Un casque de pompier ? Une voiture de course ? »
« Je veux une poussette pour Cindy ! »
Papa est devenu tout rouge.
Il essayait de ne pas s’énerver mais c’était raté.
« Puisqu’on est incapable de choisir un cadeau normal dans cette famille, je vais le faire moi-même et ce sera réglé ! »
Il a saisi une boîte à outils avec de vrais outils, même pas en plastique.
Mon frère a pleuré. Très fort.
Tout le monde nous regardait.
À la caisse, Maman a dit qu’elle ne voyait pas trop l’intérêt d’offrir un cadeau qui fait pleurer.
« Les poupées, c’est pour les filles ! Un point c’est tout ! »
« Je ne vois pas pourquoi ton fils ne pourrait pas s’occuper d’un bébé, tu l’as bien fait, toi ! »
« Ce n’est pas un bébé, c’est une poupée ! Ça n’a rien à voir ! »
J’ai demandé : « Vous allez divorcer ? »
Ils se sont retournés tous les deux avec un air effrayé. Je crois qu’ils avaient un peu oublié qu’on était là.
« Bien sûr que non, mon chéri… »
Puis, ils se sont fait un bisou, en plein sur la bouche, pour le prouver.
À partir du week-end suivant, mon frère a commencé à s’intéresser à la boîte à outils. Papa avait promis qu’il l’aiderait à fabriquer des trucs mais là, c’était justement pas possible parce qu’il jouait à la bataille navale avec moi.
Mon frère est reparti tout seul.
C’est bien, moi je trouve, d’apprendre aux enfants à se débrouiller…
Mon frère s’est donc débrouillé seul avec le marteau.
D’abord, sur un tambour.
Ça donnait un son extra.
Mais Maman a confisqué le marteau.
Ensuite, mon frère s’est débrouillé seul avec la scie.
« Tu ne fais que des bêtises ! Je confisque toute la boîte ! » a dit Papa.
Maman est intervenue :
« Tu lui as promis que vous bricoleriez ensemble, et puis tu ne t’en occupes pas. Allez hop, les gars ! Au boulot ! »
« Et pourquoi ce serait forcément un truc de mecs, le bricolage ? Hein ? Tu ne peux pas le faire, toi ? » a répliqué Papa.
J’ai bien vu qu’ils allaient recommencer à se disputer, alors j’ai dit :
« C’est bon ! Je m’en occupe ! »
Mon frère et moi sommes partis nous enfermer au garage avec la caisse à outils et interdiction formelle de nous déranger.
Papa et Maman avaient presque fini la vaisselle quand nous sommes venus présenter notre œuvre :
« Abracadabra ! Et voici…
…une poussette pour Cindy ! »
Ludovic Flamant
Les poupées c’est pour les filles
Paris, l’école des loisirs, 2000