Amadou est né à Bamba, un petit village de pêcheurs bozo assoupi sur les bords du fleuve Djoliba. Petit déjà, il n’aimait pas accompagner ses parents en pirogue.
D’ailleurs, au village, les siens racontent que, de mémoire de Bozos, ils n’ont jamais vu un garçon détester l’eau comme lui. Un comble, pour un fils de pêcheurs !
Amadou préférait parcourir les dunes, à la recherche de petits trésors oubliés par les voyageurs de passage ou déposés par le fleuve. Il en avait des montagnes : capsules, bouteilles et boîtes en tout genre.
Un jour, le vent souffla sur la dune un vieux papier journal. Dedans, on expliquait comment fabriquer la boîte noire des appareils photo, le sténopé.
À la nuit tombée, Amadou dénicha une boîte de conserve rouillée. Tout excité, il suivit attentivement les explications du vieux journal et confectionna la fameuse boîte noire.
Quand l’aube parut, l’appareil était prêt. Il avait une drôle de tête, mais il semblait fonctionner. Le village était encore tout endormi.
Quand le soleil fut au zénith, il se rendit à Bourem chez Papa Diallo, seul photographe à des kilomètres à la ronde. Le vieil homme se saisit de l’étrange appareil, fronça les sourcils et s’enferma dans une petite pièce noire.
— Désolé, fiston, ce n’est pas pour cette fois ! fit-il en sortant.
Amadou revint plusieurs fois avec de nouvelles images, sans résultat. Il était découragé.
Mais un matin, Papa Diallo frappa à la porte, tout excité. Le père d’Amadou le fit entrer et appela son fils. De sa petite voix chevrotante, Papa Diallo laissa tomber :
— Félicitations fiston ! J’ai envoyé quelques-unes de tes photos à Bamako, et l’une d’elles a obtenu le premier prix de la meilleure image en catégorie amateur. Vraiment, bravo ! L’honneur que tu fais à tes parents rejaillit sur moi !
Peu après, Papa Diallo prit Amadou comme apprenti.
Pendant ses trois années de formation, il lui apprit toutes les ficelles du métier : prise de vues, cadrage, développement des clichés…
Amadou put même se servir du vieux Zenith de Papa Diallo qui avait figé d’émotions sur papier glacé. Enfin arriva le grand jour : Papa Diallo, les yeux pétillants de malice, transmit officiellement son studio à Amadou.
Le vieux studio n’était pourtant pas très fréquenté. Pour attirer les clients, Amadou décida d’innover : il demanda à Touré, le peintre du village, de confectionner des décors.
De magnifiques tableaux illuminèrent l’atelier : romantiques jardins à la française, palaces merveilleux, bolides de collection…
Les clients enchantés affluèrent de nouveau.
Bientôt, Amadou fut sollicité pour les grandes occasions. Les jours de mariage et de naissance, les dames rivalisaient de coquetterie, les hommes étalaient leurs richesses.
Sous les ordres d’Amadou, chacun prenait la pose avec son plus joli sourire. Sur les photos, les bijoux et les boubous somptueux éclataient de lumière et de couleurs !
La remise de médailles aux anciens combattants des deux guerres mondiales était empreinte de solennité et chargée d’émotion : les rescapés étaient tout fiers d’avoir servi l’ancienne puissance coloniale. Ils arboraient leurs distinctions, symboles de leur courage. Quelques-uns, bien que courbés par leur grand âge, tenaient à honorer de leur présence ce jour mémorable.
À Bamako, la capitale, le vieux Grec Kalafatas entendit parler de lui et lui demanda de l’aider à relancer son studio.
Avec l’aide de Touré, Amadou changea tous les décors démodés pour des trompe-l’œil à couper le souffle.
Ceux dont l’aventure vers l’Europe s’était arrêtée à Bamako et qui voulaient faire croire au village qu’ils étaient bien partis posaient devant un décor représentant un gros avion.
Ceux qui voulaient frimer en faisant croire qu’ils avaient bravé tous les dangers pour arriver à la destination tant rêvée posaient devant un gigantesque décor de la tour Eiffel.
Le tableau était saisissant de ressemblance…
C’était sûr, au village, les cousins allaient en crever de jalousie !
Aujourd’hui, c’est la consécration : Amadou est invité dans les festivals du monde entier et a décroché plusieurs prix, dont celui de l’image kitch à New York.
Malgré le succès, il reste toujours attaché à son village de Bamba.
Il y a ouvert un studio moderne tenu par un apprenti formé à Bamako.
Et, bien qu’il soit maintenant une grande personne, on l’appelle toujours le petit photographe de Bamba !
Christian Epanya
Le petit photographe de Bamba
Paris, Sorbier, 2007
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