Jusqu’à présent, on croyait que le progrès matériel était illimité, que les relations humaines nous guideraient vers une fraternité à l’échelle mondiale, que les États seraient des partenaires, des amis et des protecteurs de nos vies, que les banques étaient le coffret d’un père inépuisablement riche, que la jeunesse était la contre-valeur d’un avenir qui ne connaîtrait ni la vieillesse ni la décadence…
Jusqu’à présent, on croyait que la carte d’identité et le passeport seraient des documents dispensables, bientôt remplacés par une simple carte de crédit, que nous pouvions circuler librement d’un aéroport à l’autre faisant le tour de la Terre, avec la même facilité avec laquelle on passe d’un bus à un autre…, que les frontières seraient bientôt abolies, ignorant les limites autrefois imposées par la puissance des épées, et que les drapeaux nationaux ne seraient rien d’autre que des vêtements imbibés de sang, et les hymnes nationaux, des mots de haine écrits au milieu des batailles…
Mais, à présent, tout a changé. Subitement. Aujourd’hui, hélas ! nous sommes confrontés à une réalité que seuls quelques-uns avaient prévue, mais ceux-ci n’étaient pas les bienvenues…
Il est vrai qu’au cours des dernières décennies, les populations mondiales sont devenues nomades, mais la plupart de ceux qui se déplacent aujourd’hui ne le font pas pour le simple plaisir de voyager, mais pour survivre, et la plupart d’eux meurent en chemin sans arriver à connaître un refuge, si humble soit-il.
Il est vrai que la mobilité autour de la Terre est pratiquement illimitée, mais, contrairement à ce que l’on pensait, les frontières se dressent partout, et la vigilance est si intense et humiliante que l’exil est partout et nulle part. Il est possible (ne fût-ce que pendant des moments…) de vivre côte à côte, comme des voisins qui se partagent des potagers, mais nous ne sommes pas encore prêts à être des voisins idéologiques. Et soudain, les dettes souveraines dont nous n’avons pas même entendu parler nous menacent, tel un créancier qui vient frapper à notre porte avec une mallette pour nous dépouiller de tout, même de ce que nous n’aurons jamais… Et ainsi de suite.
Tout cela nous fait réfléchir. Soudain, on sait qu’il y a plus de pauvres, qu’il y aura encore plus de pauvres, et pire encore, que la rhétorique qui mène à la peur est là.
Donc, que savons-nous aujourd’hui de la culture de la fraternité ?
La fraternité a-t-elle encore une place dans notre culture ?
Et la culture, peut-elle encore dessiner des lendemains qui chantent ?
Lídia Jorge