- Notre défi est de créer un nouveau langage, un nouveau sens de ce que c’est qu’être humain. Il s’agit pour nous de transcender non seulement les limites humaines, mais surtout l’isolement des espèces, d’être capables d’intégrer la plus grande communauté d’espèces vivantes.
- En tant qu’êtres humains, notre échec ultime sera de ne pas parvenir à contribuer au bien-être de la Terre, mais d’être l’instrument de sa dégradation. Nous avons contaminé l’air, l’eau, le sol ; nous avons endigué les rivières, coupé les forêts tropicales, détruit l’habitat animal à grande échelle. Nous avons contribué à la presque extinction de la grande baleine bleue et d’une multitude d’autres animaux… Nous avons causé l’érosion de la Terre, tué les poissons avec les produits chimiques.
- À présent, nous devons nous demander quels sont pour l’homme les gains réels : les automobiles, nos centres urbains, nos exploits spatiaux, nos compétences en communication ? Qu’avons-nous gagné ? Un ensemble d’infrastructures autrefois magnifiques mais aujourd’hui en décomposition, qui épuisent nos énergies, nos finances et les ressources de la Terre. Alors que les infrastructures de la nature se renouvellent continuellement de l’intérieur, nos infrastructures se dissolvent dans les acides corrosifs de l’environnement et se brisent sous la pression implacable qui leur est imposée.
- Nous devons également développer une façon de penser le « progrès » qui doit compromettre toute la communauté de la Terre. Tout progrès réel et durable suppose une amélioration continue de la vie pour l’ensemble de la communauté planétaire. Ce progrès doit être partagé par tous les vivants, du plancton dans la mer aux oiseaux au-dessus de la Terre. Il doit inclure les herbes, les arbres et toutes les créatures vivantes. Le vrai progrès doit préserver la pureté et les qualités vivifiantes de l’air et de l’eau.
- Si cet appel urgent n’est pas entendu dans un proche avenir, nos enfants n’auront pas l’énergie mentale nécessaire pour affronter les douleurs inhérentes à la condition humaine. Ils ne découvriront peut-être jamais leur véritable place dans le vaste monde du temps et de l’espace. Enseigner aux enfants le monde naturel doit être considéré comme l’un des événements les plus importants de leur vie. Les plus jeunes ont besoin d’un sens qui ajoutera à leur histoire personnelle l’histoire de la grandeur et du sens de l’univers.
- Si, depuis le début, la dynamique de l’univers a façonné le mouvement des cieux, a éclairé celle du soleil et formé la Terre, si ce même dynamisme a fait naître les continents et les mers et l’atmosphère, s’il a éveillé la vie dans une cellule primordiale, puis a mis en place la variété non numérotée des êtres vivants, et enfin nous a amenés à exister et nous a guidés en toute sécurité à travers les siècles turbulents, raison est de croire que ce même processus directeur est précisément ce qui a réveillé en nous la compréhension actuelle de nous-mêmes et notre relation à cette transformation prodigieuse. Sensibilisés à ce fonctionnement de l’univers, nous pouvons faire confiance à l’avenir de l’aventure humaine.
- Ce que nous sommes incapables de reconnaître, c’est que notre monde moderne tout entier est lui-même inspiré non pas par un processus rationnel, mais par l’expérience d’un rêve, peut-être par le rêve le plus puissant qui ait jamais pris possession de l’imagination humaine. À son origine et dans ses objectifs, notre sens du progrès et notre société technologique, aussi rationnelle soit-elle dans son fonctionnement, sont des visions d’un rêve pure.
- Depuis des siècles, nous nous comportons comme des autistes face à la Terre. Ce n’est que maintenant que nous avons commencé à l’écouter. Et ce n’est que maintenant que nous éprouvons une certaine volonté de répondre aux demandes de la Terre, que nous voulons stopper l’assaut industriel, que nous abandonnons notre rage meurtrière contre les conditions de l’existence terrestre, que nous essayons de questionner notre participation humaine à la grande liturgie de l’univers.
- L’atténuation de l’état actuel (recyclage des matériaux, diminution de la consommation, guérison des écosystèmes endommagés) sera dérisoire si on ne s’y résout que pour rendre les systèmes industriels actuels acceptables. N’oublions pas : elle ne peut s’accomplir que si nous, les humains, osons bâtir un nouvel ordre des choses.
Thomas Berry
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