Le virus du préjugé

    
 
     La première fois que j’ai vu Mustafa, c’était à l’hôpital où je venais faire mon métier de journaliste : interviewer les gens. La guerre venait à peine de finir. Il est entré à pas comptés dans la salle de rééducation. Il marchait très lentement, avec difficulté, et paraissait bien plus âgé que ses cinquante ans. Assis sur un matelas de mousse, le dos droit, il a commencé ses exer­cices : lever de petits haltères de fonte au-des­sus de sa tête. L’effort était si grand que ses yeux se remplissaient de larmes. Sa respiration haletante retentissait dans le silence de la pièce. En voyant ses jambes raides et sans vie, comme deux morceaux de bois gisant à angle droit de son corps, j’ai pensé à une marion­nette désarticulée.
     Je me suis présenté à lui et je lui ai demandé s’il accepterait de répondre à mes questions, de me dire comment il s’était retrouvé dans la section des personnes handicapées de l’hôpital Kosevo de Sarajevo.
     — Pas de problème, m’a-t-il répondu en souriant.
 

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