Noir comme le café, blanc comme la lune

 

— Que se passe-t-il, Nana, tu es triste ?
— Non, papa…
— Je sens que tu me caches quelque chose…
— Non… mais je n’aime pas qu’on me regarde.
— Et pourquoi ?
— Parce que je ne suis pas jolie !
— Pas jolie ? Mais tu es jolie comme un cœur !

 

 

— Papa, je n’aime pas la couleur de ma figure, de mes mains, de mes bras… Je voudrais tant être comme toi !
— Grande sotte ! Et moi qui ferais tout pour ne pas avoir une figure blanche comme la lune ! Viens voir…

 

 

— Si on mélange un peu de ce tube-ci, un peu de celui-là…
     Voilà un beau brun.
     Non, j’ai une meilleure idée ! Si nous faisions du café au lait ?
— Oh oui, papa, avec beaucoup de lait.
— Tu ne sais pas où maman range les filtres à café ?

 

 

— Maman est noire comme le café.
    Toi, tu es blanc comme la lune… non, comme le lait. Et moi, je suis café au lait ! 
    Encore un peu de lait, papa !
— Non, ça suffit, c’est exactement ta couleur.

 

 

— Tu ne bois pas ? Que se passe-t-il, Nana ?
— Je voudrais tellement avoir des cheveux comme les tiens, papa !
— Des baguettes de tambour ! Tu veux rire.

 

 

 

 

— Et si nous échangions nos têtes ? Rien de tel que le marc de café pour se déguiser !
— Et moi, papa, comment vas-tu me déguiser ? Pas avec du marc de café quand même ?
— Ça, Nana, c’est une surprise…
    Mets-en bien partout et n’oublie pas le cou…
    Bravo, elles sont superbes tes papillotes !

 

 

— À ton tour, Nana. Je vais t’enfariner comme un Pierrot.
    Tu penses que maman va te reconnaître ?
    Allons à sa rencontre.
— Je peux mettre ton chapeau ? Elle croira vraiment que je suis toi.
— Toi, tu es moi !
— Et moi, je suis toi !

 

 

— Tu as vu, papa, qu’est-ce qu’ils font ?
— Maman !

 

 

— Qu’est-ce que vous avez encore inventé tous les deux ! Occupez-vous plutôt de mes paquets, je vais chercher le pain.

 

 

— Je crois que maman n’est pas très contente… Elle est peut-être gênée ?
— Regarde toutes ces dames qui se font friser ou défriser !
    On n’est jamais content de la tête qu’on a…
                                                                                … ni de la couleur de sa peau !

 

 

— Maintenant les clowns, tous les deux sous la douche !
— Dis, maman, un morceau de lune qui tombe dans du café noir, ça fait quoi ?
— Ça fait « plouf » ?
— Non… ça fait « moi » !

 

 

Pili Mandelbaum
Noir comme le café, blanc comme la lune
Paris, l’école des loisirs, 1990