L’oiseau de papier

op1

 

J’adore les feuilles de papier. J’en ai des blanches, des bleues, des jaunes.

Dessus je peux dessiner, colorier, apprendre à écrire avec des A, des B et plein d’autres lettres.

Un jour, mamie me tend une feuille de papier en me lançant un clin d’œil. Elle s’approche de mon oreille et murmure :

— Tu verras, cette feuille est magique.

 

op2

 

Je m’assieds sur le tapis du salon, je choisis la couleur de mon feutre et je commence à dessiner. Mais il ne se passe rien.

Je ne sais pas ce qu’elle a de magique, la feuille de Mamie.

 

op3

 

Je la prends, je la regarde par-dessus, l’examine par-dessous en tendant les bras. Elle n’a rien de spécial, rien de rien.

Je vais tout de suite m’en plaindre à mamie.

— Mamie, elle n’est pas magique, cette feuille.

— Ah, si, crois-moi, ce papier magique, je vais te le montrer.

Mamie saisit la feuille et se met à la plier, d’abord en deux, puis en quatre. Ensuite, bizarrement comme ci, bizarrement comme ça.

Quand elle a fini, elle pose la petite chose sur sa main.

 

op4

 

Je fais des yeux ronds :

— C’est un oiseau !

Mamie se lève de son fauteuil, approche ses lèvres de l’oiseau et souffle doucement sur la paume de sa main.

Tout à coup, le petit oiseau se met à bouger. Une aile se déplie, puis la deuxième. Elles se mettent à battre. De plus en plus vite.

Et l’oiseau prend son envol en me frôlant le bout du nez.

 

op5

 

Je me frotte les yeux, les ferme, les rouvre.

Mais non, je ne rêve pas. L’oiseau de papier est en train de voler au-dessus de nous.

 

op6

 

Ensemble, nous l’accompagnons de nos rires et de nos applaudissements.

— Mais comment tu as fait, Mamie ?

— Je n’y suis pour rien, je te l’ai dit, cette feuille est magique, me répond ma grand-mère en me serrant très fort dans ses bras.

 

op7

 

— C’est comme un vrai oiseau, alors ?

— Oui, comme un vrai oiseau, mais en papier.

— Les oiseaux, ils doivent être libres et pouvoir aller où ils veulent, pas vrai, mamie ?

— Oui, tu as raison, ma chérie, mais tout seul pour voyager et vivre, cet oiseau serait bien triste, ne crois-tu pas ?

Je hoche la tête et tire sur ma tresse, je fais toujours ça quand je réfléchis très fort.

— L’oiseau, on peut le retransformer en feuilles de papier, mamie ?

— Bien sûr, ma chérie, il suffira de le déplier délicatement.

Ma grand-mère fait un petit signe de la main à l’oiseau qui vient aussitôt se poser sur mon épaule. Elle me le donne et j’entreprends de le déplier tout doucement pour ne pas déchirer le papier.

Quand j’ai réussi tout bien comme il faut, je cherche mes ciseaux.

Je découpe la feuille en deux, bien au milieu sous le regard souriant de mamie.

Je pince le bout de ma langue entre mes lèvres, je fais toujours ça quand je me concentre très fort.

 

op8

 

— Voilà, Mamie, ça fait deux feuilles magiques maintenant.

— Et deux oiseaux de papier, pour qu’il ne soit jamais seul, ma chérie.

Ma grand-mère me montre comment y arriver.

— N’oublions chacune des deux feuilles d’abord en deux, puis en quatre. Ensuite, bizarrement comme ci, bizarrement comme ça.

Ensemble, nous soufflons doucement sur les deux oiseaux qui secouent alors leurs jolies ailes et lentement s’envolent…

Je cours ouvrir la fenêtre. Dehors, le ciel est sans nuages et le soleil brille.

 

op9

 

Mamie et moi, nous regardons les oiseaux de papier s’en aller.

Jusqu’à ce qu’ils disparaissent derrière l’horizon.

 

I. Chabbert ; M. Roegiers
L’oiseau de papier
Alice Jeunesse, 2014