Les sirènes

     Sirènes

 

     Au fond des océans, dans les lacs et les piscines, au plus profond des abysses, vivent les sirènes des mers. Elles ne sont pas toujours gentilles, certaines sont même très capricieuses. C’est le cas des sirènes des piscines, avec leurs longs cheveux emmêlés, leurs queues de requin, et leurs ongles griffus.
     Or, dans le fond des piscines, on manque un peu d’air et d’occupations. Alors, les sirènes, à force d’ennui, deviennent dangereuses, cruelles et capricieuses. Pour se distraire, les sirènes des piscines ont trouvé un jeu qui les amuse follement : tirer par les pieds, les petits enfants, et les ramener vers elles. Pour elles, les enfants sont des jouets, surtout quand ils ne savent pas nager, ni remonter à la surface, qu’ils n’ont ni bouée, ni brassards.
     Si ce jeu les amuse, c’est parce qu’il est très dangereux pour les enfants, et aussi interdit chez les sirènes. « Pense à ces petits enfants, disent les mamans-sirènes. Ils ne savent pas vivre sous l’eau, ils ne survivent que sur la terre, car leurs poumons ne respirent qu’à l’air libre. S’ils restent dans l’eau sans savoir nager, sans reprendre leur souffle, ils tombent comme des pierres au fond de l’océan. »
 
     Mais l’ennui rend capricieux et désobéissant. Et les sirènes n’écoutent que leur ennui. Pour attirer les petits enfants, dans le fond du fond du fond, elles chantent une jolie berceuse :
 
Viens, viens me voir sous l’eau !
Quand tes parents ne regardent pas.
Sans bouée, sans brassards, c’est bien plus rigolo !
Escalade les palissades,
Cours au bord de l’eau !
Viens te jeter dans le courant !
N’écoute pas tes parents…
 
     Ces voix vous donnent l’impression de vous sentir puissant, la sensation d’avoir des ailes (ou plutôt des nageoires), la sensation d’être plus fort que les vagues, plus puissant que l’eau des rivières. Les enfants pensent : « Je suis le roi du monde, le roi de l’eau, le prince des flots. » Surtout ceux qui ne savent pas bien nager. Après avoir patouillé dans l’eau, ils se retrouvent la tête en bas, et deviennent prisonniers des sirènes.
 
     Ce sont des histoires tristes, mais il faut bien te les dire, pour que tu sois en sécurité dans l’eau. Car tu n’es ni éléphant de mer ni baleineau.
     Les sirènes te chuchotent à l’oreille :
     « Ne mets pas ta bouée. Un petit plongeon ça ne fait pas de mal. Tu pourras traverser la piscine et venir jouer avec moi. »
 
     Mais, au fond de toi, une autre voix te parle : « N’oublie pas ta bouée, n’oublie pas de dire à tes parents que tu vas dans l’eau. Ne cours pas près du bord, fais attention à la marée, et gare au courant des rivières. Et, si tu fais un grand plouf dans l’eau, essaie de rejoindre le bord, tout de suite ! N’écoute pas la jolie voix des sirènes… »
 
     Plus tard, quand tu auras appris à nager, peut-être repenseras-tu aux jolies sirènes.
     Nombreuses sont les grandes personnes, qui circulent dans les fonds sous-marins.
     Ils plongent loin, profondément, avec leur masque, leur bouteille à oxygène, ils voient des anémones, des étoiles de mer, des poissons transparents, et des hippocampes.
 
     Mais ils ne voient jamais de sirènes, car elles se cachent de ceux qui savent nager…

 

Sophie Carquain