La discussion

 

 

Tout a commencé dans la cour de récré, après les vacances de la Toussaint.
Djamel a dit que le Père Noël n’existait pas. Laurent a dit que si, plus un gros mot que je ne peux pas répéter.
Ils ont commencé à se battre mais il faisait si froid qu’ils ont vite arrêté. L’œil de Laurent était pourtant poché. Il pleurait. Il le dirait à Georgette, la maîtresse.

 

Il l’a dit quand on a enlevé nos grosses parkas d’hiver et fait sécher nos bonnets sur les radiateurs.

 

Djamel a traité Laurent, en douce, pour que Georgette n’entende pas.
Mais notre maîtresse a des oreilles dans le dos.
Elle s’est retournée avec des yeux-laser.

 

Djamel s’est senti riquiqui.
Nous aussi.

 

 

Georgette a pris sa voix de tonnerre :
— Bon, qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec le Père Noël.

 

On s’est tous regardés.
Est-ce que ça voulait dire qu’elle allait le faire disparaître ?

 

Djamel a levé la main. Il lui a dit poliment que c’était pas possible de tuer quelqu’un qui n’existait pas…
Et la dispute a recommencé.
— Si, il existe ! a hurlé Laurent. La preuve, c’est que je l’ai vu à la télé !
Si ça c’est pas une preuve ! Et moi qui ne croyais plus au Père Noël – mais quand même… – j’ai eu des doutes.

 

Georgette a dit qu’il fallait être tolérant et respecter les croyances des autres, comme ceux qui mangent du porc et ceux qui n’en mangent pas.
Laurent a proposé qu’on vote et qu’on se rallierait à la majorité, comme chaque fois pour les affaires importantes de la classe.
Georgette a répondu qu’on ne votait pas pour n’importe quoi.
— C’est comme si vous vouliez voter pour savoir si les animaux parlent !
— Bien sûr qu’ils parlent, a dit Audrey, outrée. Moi, j’ai un chien et il comprend tout ce que je dis.

 

Pour obtenir le silence sans se mettre en colère, Georgette a cédé (c’était la première fois).
On a voté. On a dépouillé dans le silence absolu. À la fin, avec les bulletins blancs, on n’était pas plus avancés : on s’est retrouvés match nul.

 

 

Pour nous départager et pour que la discussion soit enfin sérieuse, Georgette a dit :
— Ce soir, vous demanderez à vos parents ce qu’ils en pensent. Vous chercherez des documents sur les différentes fêtes religieuses et demain, on en reparlera.

 

Le lendemain : quelle discussion !
Georgette a tapé du poing sur la table.
Elle allait tout expliquer mais d’abord elle voulait connaître le fruit de nos recherches.

 

Oumar, Abdel et Fatoumata ont dit que chez les musulmans, Noël ça ne se faisait pas mais qu’ils avaient des cadeaux et de l’argent pour l’Achoura.
Yenkel, qui est juif, a dit que son Noël s’appelait Hanouka et que ses cadeaux, il les avait déjà…

 

On aurait commencé la guerre des religions et ça aurait pu durer cent ans si notre maîtresse n’était pas intervenue !
Elle a encore dit qu’il fallait absolument respecter les croyances des autres et elle a fait des dessins et des flèches au tableau, pour expliquer les religions.
Les musulmans : une mosquée. Les juifs : une synagogue. Les catholiques : une église. Les bouddhistes : un temple.

 

 

— Et les riens-du-tout ? a demandé Florian.
Georgette a dit qu’on les appelait « athées ».
Dragan a demandé encore à quoi ils croyaient, les extraterrestres, parce que la vie dans les autres mondes ça existait…
Georgette ne savait pas quoi répondre, c’était compliqué…
Tout s’est mélangé … et nous, avec tous les documents qu’on avait apportés, on est restés bouche bée.

 

— Et le Père Noël dans tout ça, alors, il existe ou il existe pas ? a demandé Laurent. Moi, mes parents, ils ont rien voulu me dire sur rien. Juste que Noël, c’était une affaire de gros sous. Ça veut dire quoi ?

 

 

Georgette a soupiré. Elle a tapé dans ses mains.
— On reprendra cette discussion plus tard.
Ensuite, elle a demandé à Djamel de réciter la table des deux…
Et à Laurent de continuer.

 

 

Tout est redevenu normal.
Ils se sont regardés, embêtés. Il n’y avait plus de discussion possible.
 

 

 

 

 
 
Claude Gutman ; Serge Bloch
La discussion
Paris, Casterman, 1999
(Adaptation)