Martin Luther King

Martin Luther King

 

Connu dans le monde entier
 
Quel chemin depuis le 1er décembre 1955 et la petite église de l’avenue Dexter de Montgomery !
En 1964, Martin Luther King est invité à Rome par le pape, il est reçu en Allemagne, le monde entier le connaît, et, à peine quelques mois après son discours de Washington, il reçoit un prix mondial : le prix Nobel de la paix. Une récompense pour l’homme ou la femme qui a le plus fait avancer la paix dans le monde.
Aux États-Unis, du concret. La même année, on annonce une grande loi sur les droits civiques des Noirs : les Noirs doivent avoir les mêmes droits que les Blancs dans les écoles, au travail, dans les transports, les hôpitaux, les mairies, les tribunaux, les bureaux de vote… Rien de bien nouveau, ce genre de loi existe depuis un siècle ! Mais c’est la première fois qu’un président a la volonté de la faire appliquer. Fallait-il que Martin Luther King devienne une célébrité pour que les choses bougent ? On dirait qu’un petit pasteur noir qui demande calmement des lois justes n’intéresse personne, mais quand ce pasteur devient une star, quand ce pasteur a ses photos en première page des journaux du monde entier, et qu’il est capable de déclencher des émeutes, alors là, c’est différent.

 

Fidèle à ses idées
 
« Demi-tour, faites tous demi-tour ! » ordonne Martin Luther King. Les 1 500 manifestants ne comprennent pas. Martin Luther King leur a demandé de venir manifester ce jour-là à Selma, près de Montgomery, pour défendre le droit de vote des Noirs. Et soudain il leur ordonne de s’arrêter et de faire demi-tour. Au loin, il a aperçu des policiers blancs qui barrent la route. Il ne veut pas passer en force et risquer la bagarre. Veut-il éviter de recommencer les violences de Birmingham ?
Avant de faire demi-tour, il demande même aux manifestants de s’agenouiller, en plein milieu de la route, devant les policiers blancs, et de prier. Les manifestants obéissent mais la plupart sont furieux. En ce mois de mars 1965, ils pensent que Martin Luther King se dégonfle, qu’il n’a rien compris, que ses méthodes ne marcheront jamais. Beaucoup de Noirs, surtout les jeunes, ne lui font plus confiance. Martin Luther King est de plus en plus souvent pris en tenaille entre les Blancs qui lui promettent des changements et les Noirs qui trouvent que tout traîne.
Quand on refuse la moindre violence même pour atteindre un objectif juste, on est vite accusé d’être mou, faible, trouillard, de ne pas oser aller jusqu’au bout.
Martin Luther King aurait pu se laisser influencer, crier « À l’attaque ! », rejoindre les mouvements noirs violents, devenir un grand chef de guerre, être adoré par tous les Noirs d’Amérique qui auraient applaudi des discours de haine contre les Blancs. Rien de plus facile que d’exciter des gens maltraités et méprisés.
C’est rare de rester fidèle à ce que l’on croit, surtout si on vous propose de l’argent, une vie dorée, du pouvoir, de la gloire, c’est dur de prendre le risque de ne pas être compris par ceux de son camp. Peu d’hommes et de femmes politiques prennent ce risque. Martin Luther King l’a pris.

 

Août 1965 : « Monsieur le Président, arrêtez les bombardements ! »
 
Martin Luther King est devenu un homme politique. Il s’occupe des droits des Noirs, mais aussi des pauvres, des sans-logis, des éboueurs, des ouvriers, des exclus de la société. Il commence à sérieusement énerver les dirigeants blancs. Que ce Noir s’occupe des histoires de Noirs passe, mais qu’il se mêle des affaires du pays, ça, non !
Alors, quand il donne son avis sur la guerre que les Américains sont en train de faire au Vietnam, alors là, il fait plus que les agacer, il se les met tous à dos.
Les États-Unis ont envoyé au Vietnam, un pays d’Asie, des milliers de soldats pour combattre leurs ennemis, les communistes. Martin Luther King est bien sûr contre la guerre, il est contre n’importe quelle guerre. Il le dit et demande au président Johnson d’arrêter les bombardements, d’arrêter la guerre. Scandale ! Martin Luther King ose ne pas soutenir son pays, il ose critiquer cette guerre contre ceux que les Américains appellent le diable, des communistes qui menacent les libertés dans le monde.
Trop, c’est trop, ce Martin Luther King dépasse les limites, et le voilà une nouvelle fois accusé de trahison, mais cette fois-ci par les dirigeants blancs. Le président Johnson ne veut plus entendre parler de cet agitateur : en août 1965, trois ans après avoir été reçu par John Kennedy, les relations entre Martin Luther King et les dirigeants blancs sons terminées, Martin Luther King ne peut plus compter sur leur aide. Pire : il est surveillé par les services secrets du gouvernement, on l’accuse d’être un espion communiste, tout est fait pour le faire passer pour un dangereux ennemi du pays.
Et les lois pour libérer les Noirs, que deviennent-elles ? Nous avons mieux à faire, répondent les dirigeants blancs, nous défendons les libertés dans le monde.

 

1967: la révolution

 

Martin Luther King en a assez, assez de recevoir des miettes de libertés, assez de quémander des petites lois, à droite, à gauche, pour les bus, pour les cafétérias, pour les écoles, assez de ces Blancs qui donnent des libertés au compte-gouttes.
Les Noirs qui le critiquent ont-ils raison ? En devenant un homme politique, écouté, reconnu, a-t-il fait du mouvement de lutte un mouvement politique normal, qui avance, petite loi après petite loi, doucement, gentiment ? S’est-il laissé bercer par les promesses, s’est-il endormi en fréquentant les riches et puissants Blancs, plus souvent que les Noirs de la rue ? Peut-être qu’il donne bonne conscience aux Blancs, peut-être que grâce à lui les dirigeants blancs peuvent dire : « Mais regardez, nous ne sommes pas si méchants que cela, nous respectons les Noirs, nous aimons monsieur King, nous travaillons avec lui, nous le laissons parler, voyager, réclamer, nous ne l’enfermons pas, mieux, nous le faisons sortir de prison à chaque fois. »
Assez. Terminé. Martin Luther King veut un changement total, global. Il veut la justice, toute la justice, tout de suite. Il faut faire une révolution. Martin Luther King n’a pas oublié ses croyances en la non-violence : la révolution qu’il veut faire est une révolution des consciences.

 

1967 : honte à vous !
 
« Au Vietnam, les Noirs et les Blancs tuent et meurent ensemble pour les États-Unis, un pays qui n’est pas capable de les faire s’asseoir dans les mêmes salles de classe. […]
Vous prenez des jeunes Noirs exclus ici, vous les envoyez à 13 000 kilomètres d’ici pour défendre des libertés qu’ils n’ont pas dans leur propre pays. »
 
Le monde entier entend cela, tous les Américains entendent cela, c’est révolutionnaire parce que Martin Luther King tape là où c’est interdit de taper, il tape sur la fierté que les Américains ont de leur pays. Les États-Unis d’Amérique, pas capables d’assurer des libertés chez eux ? Ce pays qui dit les défendre à l’autre bout du monde ?
La honte. Martin Luther King veut que chaque Blanc américain ait honte. Il veut qu’en se rasant le matin les Blancs ne puissent plus se regarder dans la glace, que chaque mère blanche, en passant la porte d’un square interdit aux Noirs, ne puisse plus sourire en regardant son enfant faire des pâtés de sable, il veut que les Américains ne puissent plus regarder leur drapeau sans avoir honte. Il veut que chaque Américain se sente coupable, que personne ne puisse jamais dire « je ne savais pas ». Que personne ne puisse dire que c’est la faute des autres, que chacun ressente que c’est sa faute aussi.

 

4 avril 1968
 
Martin Luther King est mort le 4 avril 1968, à 39 ans, d’une balle en pleine tête. Un tireur le guettait à la sortie de sa chambre d’hôtel, avec un fusil à lunette, il ne pouvait pas le rater. Ce tireur, membre d’une organisation blanche raciste, a été arrêté. Mais, aujourd’hui encore, l’enquête continue : a-t-il décidé tout seul dans son coin de tuer Martin Luther King, ou travaillait-il pour quelqu’un ? Une chose est certaine : Martin Luther King a été assassiné au moment où il gênait le plus.
Une nouvelle honte est née ce jour-là aux États-Unis : John Fitzgerald Kennedy, le président, a été assassiné en 1963, maintenant c’est le tour de Martin Luther King.
Vivant, Martin Luther King dérangeait tout le monde, mort, il est un héros pour tout le monde : son enterrement est suivi à la télévision par 120 millions d’Américains ; le président Johnson, qui ne voulait plus le voir, déclare un deuil national, les magasins ferment, les écoles ferment, les bureaux ferment, tout ferme en signe de deuil, les drapeaux américains sont baissés. Sauf dans l’État du Sud le plus raciste, la Géorgie, là où Coretta et ses 4 enfants enterrent leur mari et père. 

 

Et son rêve ?
 
Aujourd’hui, le racisme est sévèrement puni par la loi, aux États-Unis. Martin Luther King et ceux qui ont continué son combat ont réussi à réveiller la Constitution. Un Noir qui ne serait pas servi dans une cafétéria pourrait faire un procès et le gagner, et il est impensable de voir quelque part dans le pays un panneau « Interdit aux Noirs ».
Et les cœurs, et les mentalités ?
Il y a des ministres noirs dans le gouvernement américain, des présentateurs de télévision noirs, des stars de cinéma noires à Hollywood, et le troisième lundi de janvier est un jour férié. Il s’appelle « le jour Martin Luther King ». Les enfants américains connaissent tous Martin Luther King, les livres d’école racontent sa vie et son combat, sa photo est dans des milliers de salles de classe.
Cela ne veut pas dire que le racisme est fini. Souvent on se sert de tout cela pour se donner bonne conscience.
Partout dans le monde, des hommes de couleurs de peau différentes, d’origines différentes, de religions différentes, se battent entre eux, sans autre raison que leurs différences. Blancs contre Noirs, Noirs hutus contre Noirs tutsis, musulmans contre juifs, chrétiens contre musulmans, Chinois contre Tibétains bouddhistes, catholiques contre protestants…
Combien de vies comme celle de Martin Luther King faudra-t-il ?

 

 

Brigitte Labbé ; Michel Puech ; J.-. Joblin (ill.)
Martin Luther King
(extraits adaptés)