L’étoile jaune

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La légende du roi Christian X du Danemark
 
 

 

      En ce début d’année 1940, au Danemark, il n’y avait que des Danois. Ils avaient un point commun : tous étaient les loyaux sujets de leur roi bien-aimé, Sa Majesté Christian X.
      Chaque matin, le roi sortait à cheval et parcourait les rues de Copenhague, seul et sans armes.
      « Qui est-ce ? » voulut un jour savoir un étranger en visite.
      « C’est notre roi Christian ! » lui répondit son hôte.
      « Sans escorte ? » s’étonna l’étranger.
      « Mon ami, nous les Danois nous aimons tellement notre roi qu’il n’a pas besoin d’escorte », dit l’autre avec fierté. « Nous nous lèverions tous comme un seul homme pour le défendre. »

 

      Les Danois étaient loin d’imaginer quels jours sombres les attendaient, ni combien leur roi si sage allait s’avérer précieux. Comme un orage, la guerre éclata et gagna toute l’Europe. Même le roi Christian X ne put l’arrêter. Les soldats nazis s’amassèrent à la frontière danoise, pareils à des nuages chargés de menace. Bientôt, ils firent leur rentrée dans Copenhague, et la ville connut la pénurie et le couvre-feu. Les soldats nazis apportaient aussi un drapeau qu’ils hissèrent au-dessus du palais royal. Les Danois se demandaient ce que le roi allait faire. Sinistre, le drapeau flottait sur la ville, synonyme de guerre, de peur et de haine. Le roi envoya un soldat le décrocher. Voyant que le drapeau n’était plus là, un officier nazi se rendit auprès du roi.
      « Qui a enlevé le drapeau ? » demanda-t-il.
      « J’ai envoyé un soldat le décrocher », répondit le roi.
      « Ah, vraiment ? Eh bien, nous le remplacerons. Demain, un autre drapeau flottera sur la ville », déclara l’officier.
      « Et demain, j’enverrai un autre soldat le décrocher », répliqua le roi.
      « Je ferai fusiller cet homme », gronda l’officier.
      « Dans ce cas, préparez-vous à fusiller le roi, car cet homme, ce sera moi. »

 

      Le drapeau nazi ne reparut pas au-dessus du palais. La disparition du drapeau devint un symbole de résistance. Les Danois usaient du moindre prétexte pour entrer dans la cour du palais et constater son absence par eux-mêmes.
      Mais ce n’était qu’une petite victoire. Pour le roi comme pour son peuple, la véritable épreuve était encore à venir. La terrible nouvelle arriva sans un bruit, sur des feuillets légers qui jonchèrent bientôt les rues de Copenhague :
      « Exécution immédiate : Tous les Juifs sont sommés de coudre sur leur vêtement une étoile jaune qui doit être visible en toutes circonstances. »
      Les Danois avaient peur. Ils avaient entendu des choses épouvantables. Une fois que les Juifs portaient cette étoile jaune, les soldats nazis les emmenaient et plus personne n’entendait parler d’eux. C’était déjà arrivé ailleurs.

 

      Comme d’habitude, les Danois se tournèrent vers le roi. Mais, cette fois, le roi avait aussi peur qu’eux. Sans étoile jaune pour les désigner, personne n’aurait pu distinguer les Juifs des autres Danois. Juifs et Chrétiens étaient tous des sujets danois qui honoraient Dieu chacun à leur façon. S’il ordonnait à la petite armée danoise de se battre, des Danois mourraient. S’il ne faisait rien, des Danois mourraient.
      C’est peut-être ce dilemme qui conduisait le roi sur son balcon, cette nuit-là. Une multitude d’étoiles éclairaient le ciel.
      « Si tu voulais cacher une étoile, où la mettrais-tu ? » se demanda-t-il.
      Ses yeux scrutèrent le ciel.
      « Mais bien sûr », se dit-il, « la réponse est toute simple ! Tu la cacherais parmi ses sœurs. »

 

      Le roi fit venir son tailleur. Le tailleur entra et écouta la surprenante requête du roi.
      « Nous n’avons qu’une heure devant nous avant l’aube », dit le roi d’une voix pressante. « Aurez-vous terminé à temps ? »
      « Oui, Votre Majesté. Je commence tout de suite », dit le tailleur en s’inclinant.
      « Est-ce que vous comprenez ce que cela signifie ? » demanda le roi.
      « Oui, Votre Majesté, et tous vos sujets le comprendront aussi. »
      « J’en suis convaincu », soupira le roi, qui plaçait autant de confiance dans les Danois que les Danois en plaçaient en lui.

 

      Le jour se leva, et le roi du Danemark sortit pour sa promenade dans les rues de la ville, seul, plein de courage et de défi. Il portait son plus bel uniforme. En le voyant passer, ses sujets comprirent ce qu’ils devaient faire. Et de nouveau, au Danemark, il n’y eut plus que des Danois.
 
 
 
 
Carmen Agra Deedy
L’étoile jaune
Namur, Mijade, 2003